La gestion algorithmique de la main-d’œuvre : mise en lumière des impacts sur les travailleurs et des bonnes pratiques

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Le projet

Toute avancée technologique implantée dans les milieux de travail occasionne des changements dans les façons de faire et dans la nature des tâches des travailleurs. Les technologies actuelles, notamment propulsées par l’intelligence artificielle (IA), n’y font pas exception, bien au contraire. Grâce à leurs atouts importants, les applications de l’IA se déploient rapidement dans plusieurs activités organisationnelles et entraînent déjà des modifications importantes à la nature des emplois. Par ailleurs, les avancées algorithmiques misant sur l’IA permettent non seulement d’automatiser ou de transformer les tâches des travailleurs, mais également celles des gestionnaires. L’utilisation accrue d’algorithmes dans les fonctions de gestion, notamment dans la gestion du personnel, est représentée par l’expression « gestion algorithmique » (algorithmic management).

Depuis 2015, année des premières publications sur le sujet, la gestion algorithmique est la cible d’une attention de plus en plus marquée des chercheurs. Cet engouement s’explique principalement par l’expansion rapide du phénomène, mais aussi par les enjeux importants qu’il pose pour divers aspects de la qualité de vie au travail. Face à ce développement rapide de la recherche, il importe d’établir un bilan des connaissances actuelles afin de dégager les orientations et les approches les plus prometteuses pour la suite et fournir des premières observations fondées sur la science pour guider les pratiques dans les organisations. Ce rapport présente donc les conclusions d’une recension des études empiriques sur la gestion algorithmique publiées à ce jour.

Les principales constatations

  • Les activités de gestion du personnel qui sont les plus couramment confiées en totalité ou en partie à des systèmes algorithmiques sont le monitoring (surveillance) d’une multitude d’éléments associés à l’activité de travail, la planification du travail (attribution des tâches, établissement des objectifs et des horaires), l’évaluation du rendement et la rétroaction, le calcul de la rémunération, et la rupture du contrat de travail (congédiement ou licenciement).
  • De manière générale, en ce qui concerne la qualité de vie des travailleurs, les études répertorient davantage d’effets négatifs ou défavorables liés à l’utilisation de la gestion algorithmique. Heureusement, les résultats permettent aussi d’identifier certains facteurs (caractéristiques du système et pratiques de gestion) contribuant à atténuer ou annuler ces effets.
  • La présence ou le degré perçu de la présence de la gestion algorithmique semble être associée à plusieurs émotions, attitudes ou comportements chez les travailleurs, comme de l’anxiété, des comportements de résistance, de la confiance et de la méfiance, la perception de bris du contrat psychologique entre l’employé et l’organisation, un faible engagement au travail, de la frustration, de l’inquiétude, une motivation réduite, des perceptions d’injustice ou un sentiment de déshumanisation du travail.
  • La présence ou le degré perçu de la présence de la gestion algorithmique semble se répercuter sur certaines conditions de travail et sur l’organisation du travail. Les études recensées rapportent que la gestion algorithmique peut à la fois favoriser l’émergence d’actions collectives de résistance ou d’entraide, accroître la compétition entre les travailleurs, et diminuer le soutien entre collègues. Elle est également associée à une intensification du travail, à une asymétrie du pouvoir entre organisation et travailleurs, à des exigences accrues de requalification ou de développement des compétences, et à une diminution de l’autonomie des travailleurs. Elle poserait aussi des risques pour la santé et la sécurité au travail ainsi que pour la conciliation travail-vie personnelle, en plus d’être possiblement associée à une systématisation de la discrimination et à une précarité d’emploi et financière accrue.
  • Les répercussions de la gestion algorithmique pour les organisations ont reçu moins d’attention de la part des chercheurs. Les résultats de certaines études laissent tout de même entendre qu’elle pourrait se traduire par des services plus efficaces, rapides et standardisés, tout en contribuant à optimiser les coûts de production. D’autres études demeurent nécessaires pour mieux comprendre les retombées à plus long terme de la gestion algorithmique sur la performance des organisations.

Ce que cela suppose pour les politiques

  • Les conclusions appuient toute initiative visant à rendre l’usage de la gestion algorithmique plus responsable pour favoriser la dignité et le bien-être des travailleurs.
  • Les études recensées indiquent que plusieurs paramètres et caractéristiques des systèmes algorithmiques permettent d’atténuer les risques susmentionnés, notamment la transparence quant à la présence et au fonctionnement des systèmes, à la fiabilité et à l’exactitude des décisions, à la justice du système et des décisions, et au degré de pouvoir qu’ont les employés vis-à-vis des algorithmes.
  • Les résultats révèlent aussi l’importance de préserver l’autonomie des travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions, et de miser davantage sur la confiance que sur le contrôle.
  • Les conclusions suggèrent indirectement que l’autorégulation des systèmes de gestion algorithmique par les organisations s’avère néanmoins insuffisante, et que ce phénomène mériterait un encadrement juridique précisant les obligations des employeurs en matière de gouvernance et les droits des travailleurs.

Complément d’information

Rapport intégral (en anglais)

Coordonnées des chercheurs

Xavier Parent-Rocheleau, professeur adjoint au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal  xavier.parent-rocheleau@hec.ca

Marie-Claude Gaudet, professeure adjointe au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal  marie-claude.gaudet@hec.ca

Marylène Gagné, professeure titulaire au sein du Future of Work Institute de la Curtin University  marylene.gagne@curtin.edu.au

Pamela Lirio, professeure agrégée à l’École des relations industrielles de l’Université de Montréal  pamela.lirio@umontreal.ca

Antoine Bujold, doctorant à HEC Montréal  antoine.bujold@hec.ca

Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des auteurs; elles ne sont pas celles du CRSH, du Centre des Compétences futures ni du gouvernement du Canada.

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