La place de la société politique pour atténuer le sentiment de solitude et cultiver l’amitié

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Le projet

La recherche menée dans différentes disciplines s’accorde sur le fait que l’amitié joue un rôle salutaire dans la vie des gens, et que son absence peut contribuer à la solitude, un phénomène aux effets délétères sur la santé. De plus, le débat public ces dernières années a fait ressortir combien l’actuel climat acrimonieux et conflictuel dans l’arène politique vient éroder la démocratie contemporaine, et combien, par conséquent, le public serait probablement mieux servi par un discours politique plus cordial. Mon projet dresse l’état des connaissances sur les facteurs politiques qui encouragent ou découragent les rapports amicaux, dans le but d’inventorier les politiques fondées sur des données probantes qui sont favorables à l’amitié. Peut-on imaginer un monde où tout le monde aurait au moins une relation d’amitié? Pourrait-on en faire une réalité? L’idée ici était de parcourir la littérature au sujet de l’amitié, de la solitude et de la politique pour répondre à trois questions interreliées :

  • Quel rôle peuvent jouer les gouvernements et leurs politiques pour favoriser l’amitié?
  • Observe-t-on des tendances ou structures sociétales qui sapent ou découragent l’amitié? Si oui, pourrait-on adopter certaines politiques pour pallier le problème?
  • Quelles études faudrait-il encore mener pour générer plus d’information factuelle sur l’effet desdites politiques?

Si l’amitié a fait l’objet d’une attention considérable comme sujet de recherche, ce n’est pas le cas de son absence. L’absence d’amitié diffère de la solitude dans le sens qu’elle constitue le fruit de l’exclusion ou de la marginalisation plutôt que de l’absence d’êtres chers. Mon projet examine donc les facteurs systémiques (comme la volatilité de l’économie) pouvant inhiber les relations d’amitié, et il en ressort que l’instauration de politiques prosociales pourrait ici nécessiter une réforme des politiques antisociales.

Principales conclusions

Les études sont nombreuses à noter les bienfaits de l’amitié sur de multiples plans :

  • santé physique et longévité;
  • santé mentale et qualité de vie;
  • apprentissage et cognition;
  • entraide et solidarité collective;
  • constitution d’un capital social, dynamisme de la société civile, etc.

De toute évidence, encourager cette réciprocité interpersonnelle est un objectif politique souhaitable. Dans le même ordre d’idées, si solitude et amitié ne sont pas exactement des antonymes, certaines études suggèrent qu’une dynamique hostile dans la sphère politique (p. ex. : la polarisation du discours public) tend à exacerber le sentiment d’insécurité et d’isolement chez la population. Cela laisse toutefois entendre que si les propos – et les interactions – se font plus amènes au sein de la classe dirigeante, les effets sur le moral des citoyennes et citoyens pourraient être significatifs.

Il s’est produit un volume considérable d’études sur la façon dont les politiques et pratiques peuvent façonner les relations interpersonnelles. Cependant, la littérature n’aborde pas nécessairement de front le thème de l’« amitié »; elle peut par exemple s’intéresser à des phénomènes connexes tels que le capital social, la cohésion sociale, ou les réseaux sociaux et communautés en ligne. Ces notions viennent rejoindre celles de l’enrichissement de la société et à la création de communautés amicales, mais ne concernent pas nécessairement l’étroitesse, la longévité ou la qualité des relations entre individus. Pour mettre l’accent sur l’amitié, il faut être bien précis dans les choix terminologiques et ne pas présupposer qu’une société civile active aura forcément pour effet la multiplication des amitiés. Et si les études abondent sur les façons de favoriser le développement de liens affectifs entre enfants en milieu scolaire, elles se font relativement rares sur la manière d’en faire de même avec les adultes à l’échelle nationale.

Cela dit, la recherche nous éclaire sur la manière dont se nouent les amitiés ou ce qui les favorise, par exemple, la pédagogie particulière appliquée à l’école; les choix administratifs et organisationnels de l’employeur; les politiques favorisant le bon voisinage et les interactions hors de la sphère privée; et les programmes sociaux qui promeuvent la mixité générationnelle et sociale. Reste que la mise en place de politiques ne suffira pas si l’on manque à reconnaître et à combattre les forces dans la société qui effritent les amitiés existantes, comme la partisanerie toxique, l’étalement urbain, les inégalités sociales et intersectionnelles ou la précarité d’emploi. Pour créer la société que nous imaginons, il faudra non seulement aider les personnes sans cercle social à trouver des occasions de nouer des relations, mais aussi amener les gens déjà bien entourés à prendre conscience qu’ils ont – souvent sous leur nez – des pairs n’ayant pas la même chance.

Conséquences relatives aux politiques

  1. Une politique prosociale pourrait apporter un renouveau dans la vie démocratique et l’édification de la nation, et venir supplanter d’autres notions qui ont caractérisé la trame narrative de cohésion sociale au 20e siècle, comme le patriotisme et l’État-providence. Elle mettrait de l’avant les relations interpersonnelles, et non l’attachement du peuple à son État-nation.
  2. À l’image des démarches pour populariser le concept d’identité de genre auprès de la masse, je postule que les différents ordres de gouvernement pourraient contribuer à la « normalisation » de l’amitié à travers différentes politiques socioéconomiques, et ce, potentiellement à titre d’attente explicite. C’est bien sûr un travail qui nécessiterait l’attention de tous les ordres de gouvernement, et non pas que celle des administrations locales (comme c’est le cas pour bien d’autres questions qui touchent la dimension interpersonnelle, par exemple la revitalisation des quartiers).
  3. À l’heure actuelle dans la littérature, il y a bien plus de publications traitant de grandes idées de politiques pour stimuler la vie communautaire ou rompre la solitude que d’évaluations montrant l’efficacité réelle des politiques à favoriser l’amitié. Il faudra plus d’études afin de déterminer de manière systématique quelles sont les politiques et pratiques qui fonctionnent bien à cet égard.
  4. Les figures influentes du monde des affaires et de la sphère politique doivent ici donner le ton et faire preuve de cordialité ainsi que d’une volonté de favoriser les amitiés saines dans leurs communautés respectives. Si elles ne peuvent pas, ou ne veulent pas, endosser ce rôle d’exemple, des réformes plus profondes pourraient s’avérer nécessaires.

Renseignements supplémentaires

Rapport intégral (en anglais)

Coordonnées de l’équipe de recherche

Andrea Chandler, professeure, Département de science politique, Carleton University : andrea.chandler@carleton.ca

Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des autrices et auteurs; elles ne sont pas celles du CRSH, d’Emploi et Développement social Canada ni du gouvernement du Canada.

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