Asseoir le pouvoir des minorités francophones

La vitalité passe par la mobilisation

Panneau de bienvenue à la frontière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, le long de l’autoroute 970.

Panneau de bienvenue à la frontière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, le long de l’autoroute 970.

Photo : iStock, Christa Boaz

Le Canada, comme le reste du monde, est en changement. Le développement du numérique et du commerce international favorise l’utilisation de l’anglais. De ce fait, le français est en recul au Canada et sa vitalité inquiète. Par ailleurs, les données du dernier recensement canadien révèlent une tendance à la diminution du poids démographique des francophones, posant des défis quant à la préservation et au maintien du français au pays.

Cependant, la dévalorisation du français en Amérique remonte à bien avant l’ère numérique et la mondialisation. Face aux menaces identitaires qui perdurent, comment les francophones en situation minoritaire peuvent-ils s’assurer de faire valoir et respecter leurs droits? C’est la question sur laquelle se penche Michelle Landry, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les minorités francophones canadiennes et le pouvoir, et professeure agrégée de sociologie à l’Université de Moncton.

Une langue et une identité menacées

L’adoption de la Loi sur les langues officielles en 1969 a établi le bilinguisme au Canada et consacré l’anglais et le français comme langues officielles du pays. Au cours des décennies suivantes, les provinces et les territoires se sont, tour à tour, dotés de lois, de politiques et de programmes pour soutenir l’usage du français. Or, certaines provinces se sont vues contraintes par les tribunaux d’adopter ces mesures à la suite de poursuites judiciaires émanant des communautés francophones. En parallèle, les données démographiques montrent la nécessité pour les francophones de redoubler d’efforts même au Québec, notamment à Montréal, pour maintenir le français en tant que langue d’intégration, de travail et d’enseignement. Ainsi, plus de 50 ans après l’adoption de la Loi, les enjeux relatifs aux langues officielles demeurent au cœur des débats identitaires et sociaux.

Les recherches menées par Michelle Landry et son équipe portent sur la mobilisation des francophones en situation minoritaire et explorent les moyens utilisés par les communautés francophones depuis la seconde moitié du 19e siècle pour préserver leur place légitime dans la société canadienne.

« En tant que sociologue, ma démarche consiste à analyser en profondeur les mécanismes de mobilisation. Cela englobe l’étude des interactions, du financement, des tactiques et des stratégies discursives utilisées pour rallier le soutien des gouvernements et de la population, explique Mme Landry. En fait, c’est le “comment” de la mobilisation qui m’intéresse particulièrement. »

Amplifier les voix – et les voies – pour se faire entendre

Dans le cadre de ses recherches, Mme Landry a noté l’influence du financement public dans la détermination des priorités et des stratégies des communautés francophones. Si l’accès à des canaux institutionnels accorde un certain pouvoir de gouvernance, il influe également sur les méthodes de mobilisation et de revendication employées. De fait, les regroupements optent souvent pour des tactiques de lobbying et d’utilisation des réseaux sociaux pour faire avancer leurs droits linguistiques, plutôt que de manifester de manière visible dans la rue.

Mme Landry a également pu observer que les municipalités ont le potentiel de jouer un rôle important dans le développement et l’épanouissement des francophones en situation minoritaire. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, plusieurs municipalités ont pris conscience de leur pouvoir d’action, et saisissent les outils qui sont à leur disposition. Ainsi, en adoptant des arrêtés ou des politiques locales, telles que celles régissant l’affichage public, les municipalités peuvent avoir un impact important sur la vitalité linguistique des communautés francophones.

« Avoir des droits, c’est une chose, mais faire en sorte que ces droits soient appliqués, c’est autre chose, fait remarquer Mme Landry. Une communauté de langue officielle en situation minoritaire ne peut être forte que si ses institutions le sont. Et pour renforcer ses institutions, il faut qu’elle puisse les protéger contre le discours qui remet en question le bilinguisme officiel et qui s’oppose à l’acquisition des droits pour les minorités linguistiques. »

La vitalité d’une communauté francophone dépend donc de la vitalité de ses institutions et des services essentiels dans des domaines comme l’éducation, la santé, la culture et la justice. « Confrontées au risque de voir leurs institutions disparaître, les communautés francophones en situation minoritaire n’ont d’autre choix que de se mobiliser pour assurer leur pérennité », déclare Mme Landry.

C’est ainsi que la communauté franco-ontarienne – s’inspirant de la victoire du mouvement citoyen SOS Montfort (1997-2002) qui a permis d’éviter la fermeture de l’Hôpital Montfort, le seul hôpital spécialisé à offrir des services de santé en français – s’est mobilisée en 2018 pour lutter contre la tentative d’abolition du projet de l’Université de l’Ontario français et du Commissariat aux services en français.

Renforcer le sentiment de sécurité linguistique

Ses recherches offrent un éclairage précieux sur les défis des francophones en situation minoritaire, ainsi que sur les stratégies de mobilisation et les mécanismes de gouvernance permettant de renforcer la place légitime des minorités linguistiques dans la société canadienne contemporaine.

« Il est essentiel de souligner que les résultats de nos travaux ne se limitent pas aux seules communautés francophones. En effet, nous espérons que nos recherches pourront également éclairer les luttes d’autres groupes qui œuvrent à la préservation de leurs langues et cultures, par exemple, les communautés autochtones. »


Vous voulez en savoir plus?

Pour découvrir les travaux de Michelle Landry sur le pouvoir des minorités de langue française au Canada, suivez-la sur Facebook ou rendez-vous sur la page Web de l’Université de Moncton.