Les connaissances autochtones à la une!

Comment un échange interculturel peut aider le Canada à préserver et à protéger son eau

Des personnes participant au projet de recherche se baignent au coucher du soleil dans la rivière Yurayaco, en Colombie.

« Cette eau est pour nous la source qui créée et protège notre spiritualité. C’est là que se forgent nos pensées et notre vision du monde. » – Doris Waira Jacanamijoy Mutumbajoy, membre de la communauté autochtone Inga, à Yurayaco

Photo : Jonathan Ventura

Pour les peuples autochtones du monde entier, l’eau ne connaît pas de frontières. Elle est considérée sacrée et est liée à tous les aspects de la vie. C’est pourquoi Aimée Craft souhaite apprendre de communautés autochtones internationales comment protéger cette ressource précieuse. Grâce à une subvention Exploration du fonds Nouvelles frontières en recherche, elle dirige un échange de connaissances autochtones entre une délégation canadienne et une délégation colombienne composée de leaders communautaires et de chercheures et chercheurs.

Dans le cadre de leurs discussions, ces délégations abordent notamment les défis liés à l’extraction des ressources, l’importante dégradation environnementale et le mépris des connaissances des peuples autochtones en matière de gestion et de gouvernance de l’eau.

« Ce travail représente un réel échange à double sens, explique Mme Craft. Il existe beaucoup de parallèles intéressants entre les différentes nations autochtones, et leurs similitudes et différences peuvent être utiles. Les possibilités d’apprentissage sont nombreuses. »

Aimée Craft est une avocate anishinaabe-métisse originaire du Manitoba. Professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, elle a dirigé en mai 2022 le voyage de recherche de gardiennes et gardiens des savoirs autochtones, en Colombie. En mai 2023, la délégation colombienne sera reçue au Manitoba et dans le nord-ouest de l’Ontario, où Mme Craft a beaucoup travaillé sur les questions de gouvernance de l’eau par les Autochtones.

Une rivière vivante

Des personnes participant à l’échange de recherche Canada-Colombie se rassemblent à l’extérieur du pavillon d’apprentissage, à Yurayaco, après deux jours d’échange de connaissances. Aimée Craft est dans la rangé du fond, à gauche, vêtue d’une chemise rouge.

Photo : Jonathan Ventura

La Colombie est une étude de cas particulièrement intéressante pour les personnes qui défendent l’eau comme Mme Craft. La Cour constitutionnelle de ce pays est la première à s’être prononcée sur la question de la personnalité juridique de l’eau et à avoir accordé le statut de personne à une rivière. Cet arrêt historique de 2016 a déclaré que la rivière Atrato, longue de 650 kilomètres, possédait des droits de protection, de conservation, d’entretien et de restauration. Ainsi, la Cour a chargé un groupe de personnes de veiller sur la rivière. Cette idée a suscité l’intérêt de Mme Craft qui avait d’autres questions en tête.

À quoi un tel arrangement ressemble-t-il? Quels enseignements ont été tirés depuis que ce mandat a été reçu? Comment les nations autochtones, qui s’efforcent de protéger leurs différents plans d’eau, peuvent-elles s’appuyer mutuellement? Pour la chercheure, la question fondamentale est de savoir si la personnalité juridique permet d’atteindre les objectifs des différentes nations autochtones.

Ainsi, elle indique que les membres de la délégation du Manitoba envisagent de plaider en faveur de la personnalité juridique de l’eau, notamment des lacs et des rivières de la province, y compris le lac Winnipeg, le dixième plus grand lac du monde.

Échanger des connaissances pour ouvrir les esprits

Aimée Craft est reconnue dans le monde entier pour ses travaux sur la gouvernance de l’eau par les Autochtones. Toutefois, le voyage de recherche en Colombie était le premier qu’elle faisait en tant que chercheure principale d’un projet de recherche international.

Elle explique que, dans le cadre de ce projet, il est essentiel de se réunir sur place – sur les terres et les eaux dont il est question. La délégation canadienne s’est donc rendue dans plusieurs communautés et a tenu des réunions dans trois différentes régions colombiennes.

Des hommes de la région traversent le territoire autochtone traditionnel des Wayuu de la région de La Guajira, le plus grand groupe autochtone de Colombie. Cette région est connue pour ses pénuries d’eau et ses sécheresses, certaines zones restant près de sept années sans pluie.

Photo : Jonathan Ventura

« J’ai été très impressionnée par la générosité de communautés et de personnes qui, bien qu’elles n’aient pas grand-chose, donnent généreusement, que ce soit en accueillant, en partageant des récits, en faisant des cadeaux et en tisant des liens. »

Outre la question de la personnalité juridique de l’eau, d’autres sujets de conversation sont abordés, notamment les préoccupations liées à l’interruption des voies navigables, par les barrages par exemple, et la manière d’obtenir l’appui d’alliés pour défendre une cause.

« Nous voulons aider les nations autochtones à trouver les meilleurs moyens de communiquer, que ce soit en leur sein-même ou avec des partenaires extérieurs ou que ce soit pour obtenir du soutien à l’échelle internationale, explique Mme Craft. Nous voulons aider les nations autochtones à trouver des outils de plaidoyer, à renforcer les initiatives déjà entreprises ou à réaliser leurs plans. »

Sur grand écran

Durant son voyage, la délégation canadienne était accompagnée d’un cinéaste et vidéographe autochtone, qui a filmé les entretiens et posé les questions suivantes aux participantes et participants : quelle est votre lien avec l’eau? L’eau a-t-elle une dimension spirituelle? À quelles interruptions liées à l’eau avez-vous été confrontées? Quel en a été l’impact sur votre nation? Avez-vous mis en place des systèmes de protection?

Une fois complété, le travail de Mme Craft comprendra une publication sur les aspects universitaires de sa recherche, tels que la méthodologie utilisée et une théorie sur ses observations des lois et pratiques autochtones.

Toutefois, elle souhaite transformer ce travail en quelque chose de plus qualitatif et participatif : une série de courts-métrages et un site Web présentant les perspectives autochtones sur l’eau et ses dimensions spirituelles, à l’intention de publics autochtone et non autochtone. Ces courts-métrages seront multilingues afin de saisir correctement les mots prononcés, y compris dans les langues autochtones.

« Il s’agit-là d’un élément essentiel pour faire entendre la voix des nations autochtones, explique Mme Craft. Nous soutenons que l’autodétermination est importante. Or il est étrange de relater l’histoire d’une personne à sa place, alors que celle-ci est la mieux placée pour en parler. »

Saisir le moment présent

Comme le rappelle Aimée Craft, l’eau a une importance vitale pour tous les êtres vivants. C’est pourquoi la chercheure a confiance que des travaux comme les siens, sur la gouvernance autochtone de l’eau, constituent un élément tangible sur lequel les décisionnaires pourront s’appuyer à l’avenir au moment de concevoir la décolonisation de la gouvernance de l’eau en intégrant les pratiques autochtones dans la gestion des ressources.

« On reconnaît de plus en plus qu’il est nécessaire d’impliquer les Autochtones dans la gouvernance de l’eau puisque les lois autochtones font partie du tissu juridique canadien. La réconciliation exige que nous nous tournions vers les peuples autochtones pour obtenir des conseils sur les questions environnementales », conclut-elle.

Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur les travaux d’Aimée Craft, on peut consulter son site Web et le site Decolonizing Water.