S’attaquer aux plus grands défis du monde virtuel
Démarche collaborative et interdisciplinaire d’analyse des médias sociaux et d’édification de la démocratie numérique
Le postulat selon lequel les gens préfèrent s’associer à des personnes dont les opinions sont semblables aux leurs entraîne la création de « chambres d’écho » virtuelles. À mesure que les communautés virtuelles deviennent plus homogènes, les plateformes amplifient les préjugés fondés sur le genre et la race et exacerbent les inégalités sociales et économiques.
Photo : Jihyun Park (avec l’aimable autorisation du Digital Democracies Institute)
Les médias sociaux fourmillent de propos injurieux, d’algorithmes discriminatoires, de mésinformation, de désinformation et de chambres d’écho, et tout cela persiste parce qu’il n’y a pas suffisamment de collaboration entre les disciplines qui se penchent sur la création et la consommation des médias numériques. Wendy Hui Kyong Chun, titulaire de la Chaire de recherche Canada 150 sur les nouveaux médias de la Simon Fraser University, veut changer les choses en associant les sciences humaines à la science des données. Elle espère ainsi transformer des échanges hostiles en dialogues productifs et susciter de meilleures manières de communiquer en ligne.
Son équipe réunit des personnes de plusieurs disciplines : chercheures et chercheurs en sciences humaines, spécialistes des sciences sociales, de l’informatique et de l’information, des gens qui généralement ne se parleraient pas et qui travaillent maintenant ensemble à l’élaboration de stratégies novatrices pour s’attaquer aux problèmes difficiles auxquels le monde virtuel fait face.
Collaboration au service de la démocratie numérique
Wendy Chun avait déjà réalisé la nécessité d’une telle collaboration interdisciplinaire alors qu’elle préparait une proposition portant sur une initiative de données massives pour la Brown University, dans l’État du Rhode Island aux États-Unis. Elle dirigeait le département de la culture contemporaine et des médias, et ses collègues œuvraient en informatique et en biostatistique. L’idée, se rappelle-t-elle, c’était de s’employer à résoudre des problèmes qui ne pouvaient être surmontés que si ces personnes travaillaient ensemble.
C’est cet esprit de collaboration qui est au cœur du Digital Democracies Institute (DDI) que Wendy Chun a fondé à la Simon Fraser University une fois rentrée au Canada, en 2018. Outre elle-même et la directrice associée Svitlana Matviyenko, l’équipe du DDI comprend 20 membres du corps professoral de l’université, deux chercheurs postdoctoraux et plus d’une douzaine d’étudiantes et étudiants de premier, deuxième et troisième cycle, auxquels s’ajoutent des chercheures, chercheurs, professeures et professeurs d’universités affiliées de plusieurs pays.
Les recherches du DDI se sont d’abord concentrées dans quatre grands volets. Beyond Verification: Authenticity and the Spread of Mis/Disinformation s’est penché sur le caractère primordial de l’authenticité et de la confiance dans la diffusion des « fausses nouvelles ». From Hate to Agonism: Fostering Democratic Exchange Online a examiné comment l’intelligence artificielle pourrait mieux favoriser la démocratie et les engagements en matière de droits de la personne et de multiculturalisme. Desegregating Network Neighborhoods cerne les causes de la création de chambres d’écho et Discriminating Data: Correlation, Neighborhoods, and the New Politics of Recognition révèle la place centrale que la race, le genre et la sexualité occupent dans l’analytique des données et l’apprentissage machine.
Au cours de l’été 2022, l’équipe a commencé à travailler à un projet portant sur la maîtrise des données, qui est financé par la Fondation Mellon et qui réunit les quatre volets. Des partenaires du Canada, des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande participeront à ce projet.
Les membres du Digital Democracies Institute, été 2022.
Photo : Digital Democracies Institute
Respect des personnes qui utilisent les médias sociaux
Le projet a, entre autres, pour objet d’examiner comment les plateformes de médias sociaux créent des modèles de comportements d’utilisation. Selon Wendy Chun, les mesures qu’utilisent les entreprises de médias pour créer les profils des utilisatrices et utilisateurs – comme le nombre de clics et de j’aime – ne correspondent pas à l’entièreté de ce qu’elles et ils sont. Sur des plateformes comme Instagram, elles et ils créent des versions revues et corrigées de leur personne. C’est pourquoi, afin de mieux comprendre comment les utilisatrices et utilisateurs agissent en tant que personnages, actrices et acteurs dans les médias sociaux, l’équipe alliera science des données et études de théâtre et de performance.
Le projet permettra également d’examiner comment les algorithmes d’apprentissage machine sont formés et comment ils pourraient être améliorés en ce qui concerne les communautés noires, autochtones et 2SLGBTQ+. La formation de ces algorithmes se fait à partir de données passées, qui sont souvent empreintes de préjugés. Quand on les applique aux systèmes de modération des médias sociaux, ils peuvent renforcer la discrimination que subissent ces groupes ou encore censurer leur voix.
« Si l’avenir repose uniquement sur le passé, nous n’apprendrons pas de nos erreurs passées, nous les reproduirons et les automatiserons », estime Wendy Chun.
Apprentissage en commun
Un autre aspect du projet met l’accent sur la participation communautaire et la recherche menée avec le public. En collaboration avec Kishonna Gray de l’University of Kentucky, le DDI compte accroître la diversité des voix dans les jeux vidéo au moyen d’ateliers sur la conception de jeux pour des groupes défavorisés dans les Appalaches. Les jeux conçus dans le cadre des ateliers seront présentés, en même temps qu’une performance d’art numérique, dans des expositions qui auront lieu à Vancouver et à Boston ainsi qu’au Kentucky.
Outre les travaux qu’elle mène au DDI, Wendy Chun contribue aux recommandations de politiques de la Société royale du Canada et de la Commission canadienne de l’expression démocratique. Le groupe d’experts de haut niveau des Nations Unies sur la gouvernance de l’Internet a également sollicité son avis. Elle s’emploie ainsi à faire reconnaître le Canada comme centre mondial de recherche sur les médias.
Le DDI contribue à la formation de la prochaine génération en mettant à la disposition des étudiantes et étudiants des outils et des ressources qui n’existaient pas auparavant au Canada, afin qu’elles et ils puissent s’attaquer à ces questions importantes – et devenir des chefs de file mondiaux dans ce domaine.