Mieux faire connaître l’art noir
Une nouvelle base de données met fin à l’absence de représentation des contributions des artistes noirs à la culture canadienne
BlackGrange est une visite à pied qui fait revivre l’histoire effacée de la diaspora noire du quartier Grange Park, à Toronto, et remet en cause le mythe des personnes en quête d’affranchissement qui avaient fui les États-Unis pour trouver refuge et liberté au Canada.
Photo : Camille Turner, Image no 4, de la série After BlackGrange, 2018, 28 cm x 35,5 cm, impression pigmentaire sur métal
La production artistique des personnes noires a toujours existé au Canada mais, trop souvent, elle n’a pas été exposée en public, n’a pas été mentionnée dans les médias, qu’ils soient spécialisés ou généralistes, et a été exclue des programmes d’éducation à l’art. Résultat : cette production et ses créateurs ont disparu de la scène culturelle canadienne. Andrea Fatona, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la production culturelle de la diaspora noire canadienne et professeure agrégée à la Faculté des arts de l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario, est en train de constituer une nouvelle plateforme en ligne visant à mieux faire connaître les artistes noirs du Canada et leur production.
Andrea Fatona est artiste et conservatrice depuis la fin des années 1980, moment où la Loi sur le multiculturalisme canadien a été adoptée par le Parlement et a permis aux artistes de couleur d’obtenir davantage de financement. Elle a pu constater qu’il en a résulté un essor de l’art noir, qui toutefois n’a pas donné lieu à un essor équivalent de la présentation de cet art. Cela a perpétué l’impression que les artistes noirs n’ont pas contribué activement à l’édification de la culture canadienne, ce qui n’est pas et n’a jamais été le cas.
L’absence de visibilité a de profondes incidences sur des éléments comme l’appartenance, la citoyenneté et la participation des personnes noires à la société canadienne, selon elle.
Une base de données pour les artistes noirs, par les artistes noirs
Dans les photos de la série Wanted, exposées au Musée des beaux-arts de l’Ontario en 2017, les artistes Camal Pirbhai et Camille Turner recyclent des annonces publiées dans des journaux canadiens du 18e siècle et décrivant les vêtements portés par des personnes qui résistaient à l’asservissement en prenant la fuite. Les deux artistes ont réinterprété ces descriptions et les ont appliquées à des vêtements haut de gamme contemporains.
Photo : Camal Pirbhai et Camille Turner, The Brunswick Five, de la série Wanted, 2017, 172,7 cm x 119 cm, caisson lumineux
Andrea Fatona s’emploie à changer les choses avec une nouvelle base de données sur la production artistique des personnes noires. Cette plateforme en ligne sera un dépôt central où il sera possible de découvrir leur production en arts visuels, audio et médiatiques, performances, artisanat et autres de 1987 (peu avant l’entrée en vigueur de la Loi sur le multiculturalisme canadien) à aujourd’hui. Les œuvres elles-mêmes ne résideront pas dans la base de données dans la plupart des cas, mais cette dernière fournira des liens vers les archives, catalogues et collections où elles se trouvent. La plateforme contiendra en outre de la documentation connexe, notamment des textes critiques et des récits oraux dans lesquels des artistes et des conservatrices et conservateurs parlent de leur travail dans leurs mots, donnant une voix à ce que c’est que d’être une personne noire au Canada.
Pour alimenter la plateforme en ligne, Andrea Fatona travaille avec des galeries d’art et des centres gérés par des artistes afin de repérer les œuvres produites par des artistes noirs dans leurs collections respectives. Elle s’est d’abord adressée aux galeries A Space et Vtape, à Toronto, et compte poursuivre sa quête auprès d’autres collections d’un bout à l’autre du Canada.
Avec son équipe, elle étoffera les descriptions existantes et les métadonnées associées aux œuvres afin de mieux rendre compte de leur contexte et de leur importance sur le plan culturel. Cela comprend la création de nouvelles catégories de métadonnées et de nouveaux algorithmes de recherche plus pertinents, pour que les œuvres soient plus faciles à trouver dans les recherches en ligne et pour que les universitaires et les conservatrices et conservateurs puissent en retracer la généalogie et arriver à une meilleure compréhension de la culture artistique noire au Canada.
Il s’agit de s’assurer que la base de données permette aux personnes noires de se présenter comme elles se voient et se perçoivent et réponde aux questions que ces personnes se posent et non aux questions des autres à leur sujet, explique-t-elle.
L’art d’hier, source d’enseignements pour aujourd’hui
Les artistes, universitaires, établissements d’enseignement, conservatrices, conservateurs et toutes les personnes désireuses d’en savoir plus sur l’art et la culture noirs pourront consulter la base de données quand elle sera opérationnelle. Dans le but d’inciter à approfondir encore plus les connaissances à ce sujet, des activités sont prévues pour mettre en valeur certaines des œuvres les plus anciennes de la base de données et pour susciter un dialogue sur ce qu’elles nous disent du monde tel qu’il était au moment de leur création – et ce qu’elles disent toujours de la situation actuelle des personnes noires. Les activités tenues à ce jour ont attiré un public nombreux, et Andrea Fatona se dit ravie de l’enthousiasme des participants.
Pour elle, c’est très valorisant de voir qu’il existe aujourd’hui un réel intérêt à l’égard de ces œuvres et de constater qu’elles trouvent encore un écho et nous aident à mieux comprendre les questions politiques et sociales de l’heure. Elle se dit impatiente de voir ce que les gens feront de ces œuvres une fois qu’elles seront facilement accessibles.