Survivre au deuil et à l’adversité extrême

Le rôle de la famille et de la communauté dans la survie à un conflit

Deux enfants syriens servent de guides à des adjoints de recherche libanais pour une « promenade dans le voisinage », dans la vallée de la Bekaa, au Liban. Ces promenades permettent à Bree Akesson et à son équipe de recueillir de l’information sur le milieu de vie des familles déplacées, et elles donnent une voix aux enfants dans le processus de recherche.

Photo : Bree Akesson

Des millions de personnes dans le monde vivent des situations d’extrême adversité entraînées par la guerre, la pauvreté et les conséquences des changements climatiques (inondations, sécheresses, etc.). Les milieux touchés sont caractérisés par la peur et la rareté des ressources, et nombreux sont ceux qui sont forcés de partir loin de leur foyer, ce qui se répercute sur leur bien-être. Or, en dépit de la souffrance et du deuil, les gens persévèrent. Ils se marient, éduquent leurs enfants et célèbrent les occasions spéciales avec leur famille et leurs amis.

Bree Akesson, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’adversité et le bien-être dans le monde et professeure agrégée à la faculté de travail social de la Wilfrid Laurier University, s’intéresse à la manière dont les gens ont accès aux structures et aux réseaux de soutien dont ils ont besoin pour continuer à vivre leur vie même en situation de conflit ou de déplacement.

Faire preuve de résilience au milieu des ruines et des décombres

La professeure étudie depuis 20 ans les conséquences de la guerre sur les familles. Alors qu’elle menait des recherches en Tchétchénie, elle a vu des gens danser au son d’accordéons au milieu des décombres qui jonchaient la place centrale d’une ville bombardée, tandis que des hélicoptères russes tournoyaient au-dessus de leur tête, comme si tout était normal. Cette scène lui a fait comprendre que, même dans des situations difficiles, les gens parviennent à vivre des moments de joie.

Bree Akesson est fascinée par la manière dont ces personnes persévèrent et continuent de vivre leur vie quotidienne parallèlement à la guerre. Elle en a donc fait le sujet de ses travaux : comment ces personnes font-elles pour que la vie continue? Comment composent-elles avec les pertes et avec les événements horribles qu’elles vivent?

Depuis, elle aborde ses recherches en s’intéressant non seulement aux personnes en situation d’adversité, mais aussi à l’influence que peuvent avoir leur famille et leur réseau de soutien.

Vivre des deuils multiples

Dans le cadre des travaux de la chaire de recherche, Bree Akesson s’intéresse, entre autres projets, à la manière dont les Syriens réfugiés au Liban abordent la mort en contexte de grossesse, par exemple après une fausse couche ou lorsqu’un enfant décède à la naissance. Si la majorité des chercheurs considèrent uniquement l’aspect féminin de cette question, l’étude de Bree Akesson – qui est la première du genre et qui bénéficie d’une subvention de développement Savoir du CRSH – s’intéresse à l’effet déstabilisant d’une telle perte sur la mère comme sur le père et aux liens étroits entre ce deuil et la perte de son foyer et de sa terre natale chez la personne déplacée en raison d’un conflit. 

Photo : Bree Akesson

Une autre particularité de cette étude, c’est qu’afin de mieux comprendre comment les deux parents vivent cette perte, ces derniers ont été rencontrés à la fois en couple et individuellement. (Une coordonnatrice de recherche vivant au Liban s’est chargée de mener les entrevues au nom de Bree Akesson, la pandémie de COVID‑19 ayant rendu les voyages à l’étranger difficiles.) Selon la chercheure, il était important d’entendre la voix des hommes, puisqu’elle n’est généralement pas relayée dans les écrits spécialisés sur le sujet.

Les résultats préliminaires indiquent que certaines Syriennes ressentent une intense pression d’enfanter et doivent porter un lourd blâme lorsqu’elles perdent le bébé, mais n’ont accès à aucun soutien structuré pour traverser cette épreuve.

Bree Akesson précise qu’il n’y a aucun programme, que c’est le silence total. Mais il y a une lueur d’espoir selon elle : son équipe a découvert que ces femmes bénéficient d’un soutien informel, par exemple au sein de groupes de femmes s’épaulant les unes les autres. Maintenant, reste à savoir comment promouvoir ces réseaux.

Plus près de chez nous, Bree Akesson examine comment des réfugiés établis en Ontario vivent leur réinstallation. Pour décrire leur quotidien, des jeunes de familles réfugiées venues d’un vaste éventail de pays du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie du Sud affligés par la guerre réaliseront des entrevues avec leur famille et se soumettront à un traçage GPS. La chercheure étudie également la question du domicide (la destruction intentionnelle des foyers durant un conflit), en analysant ses répercussions sur le sentiment de sécurité, d’identité et de bien-être des gens.

Influencer les organismes œuvrant sur le terrain

Même si le Canada est un leader reconnu en matière de réinstallation et de droit international relatif aux droits de la personne, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas place à l’amélioration, tant ici qu’ailleurs. Bree Akesson espère que ses recherches inspireront les politiques de réinstallation du Canada, mais elle aimerait aussi, dans une perspective plus large, qu’elles influencent les organismes qui travaillent directement auprès des familles touchées par le deuil et l’exil pour améliorer l’accès aux formes de soutien qui favorisent la résilience.

Ses collègues œuvrant en zone de conflit lui disent : «  C’est ça, notre vie. Qu’est-ce qu’on peut faire d’autre?  », mais elle est sans cesse émerveillée et impressionnée par la persévérance de ceux et celles avec qui elle travaille. Cela l’aide, dit-elle, à réaliser toute la chance qu’elle a.

Pour en savoir plus

Pour en savoir plus, on peut consulter les projets en cours de la titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’adversité et le bien-être dans le monde. Dans le cadre de son projet  précédent subventionné par le CRSH, Out of Place, Bree Akesson s’est intéressée à l’histoire de familles qui ont fui le conflit en Syrie, et elle a prononcé une conférence Roatch à ce sujet à l’Arizona State University. (Les liens mènent tous vers des sites en anglais.)

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