Équité dans le monde des arts

Formation d’une nouvelle génération de chefs de file en art inuit

Le premier groupe d’Ilinniaqtuit (étudiants et apprenants) et de mentors du projet Inuit Futures à l’exposition du collectif d’artistes Isuma, qui présentait notamment le film One Day in the Life of Noah Piugattuk,au pavillon du Canada à la Biennale de Venise en mai 2019. 

Photo : Tom McLeod

Il y a aujourd’hui des milliers d’artistes inuits, et leurs œuvres sont présentées dans les musées, les galeries d’art et les théâtres partout dans le monde. Pourtant, seuls quelques Inuvialuit ou autres Inuit y occupent un poste de direction ou y jouent un rôle en recherche ou en conservation. Heather Igloliorte entend changer cela par la formation et le mentorat de la nouvelle génération de producteurs de connaissances inuites.

Professeure agrégée d’histoire de l’art à l’Université Concordia et seule Inuk au Canada à avoir obtenu un doctorat dans ce domaine, Heather Igloliorte est titulaire de la chaire de recherche de l’université en art autochtone circumpolaire. Quand les établissements du domaine des arts ont des possibilités de stage pour des étudiants inuits, ils sollicitent ses recommandations.

Elle estime qu’il y a une véritable volonté de rendre le leadership en arts plus équitable, mais qu’il n’y a pas de lien entre les étudiants inuits et les établissements. Comme bon nombre d’étudiants seraient très intéressés à faire carrière dans ce domaine, elle veut les aider à acquérir de la confiance et à être en mesure de travailler dans un établissement du domaine des arts au Canada.

Formation en leadership dirigée par des Inuit

Heather Igloliorte a obtenu une subvention de partenariat du CRSH pour le  projet intitulé Inuit Futures in Arts Leadership: The Pilimmaksarniq/Pijariuqsarniq Project, axé sur la formation en recherche. Entièrement dirigé par des Inuit et ancré dans leurs connaissances traditionnelles, ce projet met l’accent sur les valeurs sociétales de pilimmaksarniq et pijariuqsarniq, à savoir l’acquisition de compétences et de connaissances par l’observation, le mentorat, la pratique et l’effort.

Dans le cadre de ce projet, des administrateurs du domaine des arts, des conservateurs et d’autres producteurs de connaissances en devenir acquièrent une expérience concrète et bénéficient d’un mentorat personnalisé dans des galeries d’art, des théâtres, des maisons d’édition et d’autres établissements ainsi que sur des plateaux de tournage. Quinze organismes partenaires, aussi bien dans le Nord canadien qu’ailleurs au pays, ont accueilli plus d’une vingtaine d’étudiants (dont 15 femmes). Ces partenaires sont, entre autres, la Fondation d’art inuit, le musée Nunatta Sunakkutaangit, le Centre national des Arts, Western Arctic Moving Pictures ainsi que cinq universités situées dans des villes où vivent beaucoup d’Inuit.

Originaire de Kinngait (Cape Dorset), au Nunavut, Nakasuk Alariaq est doctorante en histoire de l’art à l’Université Concordia. Elle travaille avec Heather Igloliorte et a contribué à plusieurs expositions dans le cadre du projet Inuit Futures. Elle a prononcé une conférence à l’occasion de l’exposition Printed Textiles from Kinngait Studios au Musée du textile du Canada, qui présentait des œuvres de sa grand-tante, l’artiste de renommée mondiale Kenojuak Ashevak (1927-2013).

Photo : Heather Igloliorte

Alors qu’on prévoyait intéresser quatre étudiants la première année et peut-être cinq ou six l’année suivante, le projet a attiré 11 personnes dès la première année, puis 15 autres la deuxième et aussi la troisième année. Tout se déroule donc très bien, et l’on sait de plus en plus de quels types de soutien les étudiants ont besoin pour réussir.

Les étudiants ont également la possibilité de participer à des activités de réseautage, des ateliers et la production de publications. Certains ont assisté à l’ouverture du pavillon du Canada à la Biennale de Venise 2019, d’autres ont contribué à un numéro spécial du trimestriel Inuit Art Quarterly rédigé et publié par des Inuit, d’autres encore ont organisé en 2020 des ateliers virtuels portant sur des sujets allant du chant de gorge au travail des perles en passant par la conception de logos. Les étudiants collaborent actuellement à la préparation d’un audioguide pour l’exposition INUA, qui inaugure le nouveau centre d’art inuit Qaumajuq du Musée des beaux-arts de Winnipeg en mars 2021.

Apprentissage d’un côté comme de l’autre

Les organismes partenaires apprennent beaucoup de leur travail avec les étudiants inuits – et c’est le cas même des établissements qui ont déjà une collection d’art autochtone et peuvent avoir une certaine connaissance de la culture des Premières Nations ou des Métis. À l’occasion de rencontres annuelles, l’équipe du projet présente des ateliers ayant pour but d’aider les partenaires à comprendre les besoins particuliers des Inuvialuit et autres Inuit.

Il y a des normes culturelles et des repères sociaux propres aux Inuit, dont certaines expressions faciales qui peuvent parfois être mal interprétées, selon Heather Igloliorte. Par ce projet, on tente de veiller à ce que la responsabilité d’expliquer ces différences n’incombe pas qu’aux étudiants inuits mais soit plutôt collective.

La pandémie de COVID-19 a également permis de tirer un enseignement important. Bon nombre d’établissements du domaine des arts seraient fort heureux d’embaucher des Inuit, mais uniquement dans la mesure où ces derniers seraient prêts à s’installer en ville – ce que beaucoup d’entre eux sont peu disposés à faire. Toutefois, compte tenu du fait que les stages d’un grand nombre de participants se font à distance depuis un an, les organismes constatent que, moyennant davantage de souplesse, les Inuit peuvent travailler et contribuer de n’importe où.

Un héritage durable

L’objectif immédiat du projet Inuit Futures est certes d’augmenter le nombre d’Inuit occupant des postes de direction et de recherche dans le domaine des arts, mais c’est l’évolution à long terme du domaine qui suscite le plus l’enthousiasme d’Heather Igloliorte.

Servir est l’une des formes les plus élevées de leadership pour les Inuit, explique-t-elle. Les personnes qui sont formées aujourd’hui vont servir et faire une plus grande place aux Inuit, leur impact se fera de plus en plus sentir à l’extérieur, et chaque génération apportera des changements positifs qui rendront l’espace artistique encore plus accueillant pour les Inuit qui suivront.

On peut consulter le site Web du projet Inuit Futures et suivre le projet sur Facebook et Instagram (en anglais).