Au nord, la liberté

L’importance de Sandwich Town dans l’histoire du chemin de fer clandestin

Carte des cantons de Sandwich Est et Sandwich Ouest, tirée de l’Illustrated Historical Atlas of the Counties of Essex and Kent, 1880-1881.

Source : Southwestern Ontario Digital Archive, Leddy Library, University of Windsor

Du début du 19e siècle jusque vers 1850, le chemin de fer clandestin a permis à de nombreux esclaves afro-américains de trouver la liberté. Ont participé à ce mouvement transfrontalier d’envergure pour la justice sociale et les droits de la personne des hommes et des femmes de toutes origines ethniques, religions et classes sociales des deux côtés de la frontière canado-américaine. Malgré cela, plusieurs Canadiens connaissent mal le rôle que leur pays y a joué, comme l’a constaté Irene Moore Davis, historienne et présidente de l’Essex County Black Historical Research Society. C’est pour cette raison qu’elle a décidé de présenter dans un documentaire, en faisant appel à des personnes de la communauté noire, les lieux historiques de Sandwich Town, en Ontario, qui fut un point d’entrée névralgique au Canada.

Une ville et ses secrets

Aujourd’hui un quartier de la ville de Windsor, Sandwich Town est située à l’un des points les plus étroits de la rivière Détroit, ce qui en faisait un point d’entrée idéal pour les voyageurs du chemin de fer clandestin qui passaient par Détroit pour entrer au Canada. Dans le système de codes secrets utilisé par les esclaves en quête de liberté et les abolitionnistes, Détroit était surnommée « Minuit » et le Canada « Aurore » ou « Canaan », en référence à la Terre promise de la Bible. Les voyageurs étaient accueillis par les habitants de la ville. En 1851, certains d’entre eux ont participé à la construction de la première église baptiste de Sandwich, la seule église de la ville toujours debout bâtie par d’anciens esclaves.

L’abolitionniste américain Henry Bibb (1815-1854) est l’auteur de Narrative of the Life and Adventures of Henry Bibb, An American Slave, Written by Himself, publié en 1849. Il a fui les États-Unis et s’est établi à Sandwich Town, où il a créé le premier journal noir au Canada, The Voice of the Fugitive, en 1851.

Photo : Henry Bibb, gravure sur cuivre par Patrick Reason. Gracieuseté de la Bibliothèque publique de Toronto.

Les ancêtres de Mme Davis ont aidé à fabriquer ses briques, mais c’est beaucoup plus qu’un simple édifice selon elle : c’est là qu’étaient accueillis les nouveaux arrivants, que les antiesclavagistes se réunissaient, et que les gens se réfugiaient pour échapper aux chasseurs de primes. C’est un élément capital de cette communauté et de son histoire.

L’idée de produire un film sur le rôle de la ville dans l’histoire du chemin de fer clandestin est née dans l’esprit d’Heidi Jacobs, bibliothécaire à l’University of Windsor, alors qu’elle assistait à une présentation de Mme Davis dans le cadre d’une activité locale. Captivée par les paroles de cette dernière, Mme Jacobs a lancé l’idée d’un documentaire afin de faire connaître cette histoire.

Réalisé par Anushray Singh, titulaire d’une maîtrise en cinéma et arts médiatiques de l’University of Windsor, The North Was Our Canaan donne la parole à des gens du coin qui connaissent très bien la région et ses liens avec l’histoire du chemin de fer clandestin : Kimberly Simmons, directrice générale de l’organisme américain Detroit River Project; Lana Talbot, historienne de l’église baptiste de Sandwich; Teajai Travis, archiviste en histoire d’ascendance africaine et autochtone; Charlotte Watkins, qui habite encore aujourd’hui à l’endroit même où sa famille s’est installée dans les années 1840; ainsi qu’Irene Davis.

Les entrevues ont été filmées à l’intérieur de la première église baptiste de Sandwich, et il n’aurait pu en être autrement, estime Mme Davis, qui précise que c’était très émouvant non seulement que ces récits soient évoqués là mais également de se sentir aussi proches de l’histoire de ce lieu.

Combler les lacunes de l’histoire du Canada

Le documentaire a été produit grâce à une subvention d’exploration que le CRSH a attribuée à l’University of Windsor. La première du documentaire a eu lieu en ligne en novembre 2020, pendant la semaine des sciences humaines de l’université.

Mme Davis souligne que l’accueil a été extraordinaire. Son équipe a reçu des demandes d’autres sociétés historiques, d‘enseignants souhaitant présenter le film dans leurs cours, ainsi que d’habitants de Windsor qui ne connaissaient pas ce pan de leur histoire locale. Des membres du conseil municipal de Windsor espèrent que le film les aidera à déterminer comment souligner la contribution de celles et ceux qui sont trop souvent absents des commémorations officielles. Le film contribue ainsi à nourrir un dialogue plus vaste sur ce qui mérite d’être commémoré – et sur ce que les choix qui sont faits nous apprennent au sujet de la société.

Selon Mme Davis, nous commençons tout juste à vraiment rendre compte de l’entièreté de l’histoire du Canada, y compris des contributions des personnes et des communautés noires. Elle souhaite que ce film donne envie à d’autres de tirer de l’oubli les histoires des endroits où ils vivent.

On peut consulter le site Web du film pour en apprendre plus sur Sandwich Town et pour visionner The North Was Our Canaan, sélection officielle du Montreal Independent Film Festival 2020.