Des services essentiels à la survie des jeunes 2SLGBTQ+

Une recherche-action mène à la création d’un programme de logement inclusif

Alex Abramovich, chercheur autonome à l’Institut de recherche en politiques de santé mentale du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) et professeur adjoint à la Dalla Lana School of Public Health de l’University of Toronto, et Cayley Russell, coordonnatrice de la recherche au CAMH, devant le laboratoire de recherche mobile dans lequel les entrevues ont été menées.

Photo : Alex Abramovich

Jusqu’à 40 p. 100 des jeunes en situation d’itinérance au Canada se disent 2SLGBTQ+, mais peu d’études ont été menées sur ce qu’elles et ils vivent. Bon nombre de ces jeunes sans-abri ont déjà subi de la discrimination et évitent les services de logement et de soutien, ce qui fait d’eux un segment démographique caché qui échappe à la plupart des programmes de recherche. Alex Abramovich, chercheur autonome au Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), cerne les besoins de cette population – et ses travaux ont donné lieu à des changements concrets, à savoir des programmes de logement inclusif.

Il se souvient que, lorsqu’il a commencé à se pencher sur cette question, les jeunes 2SLGBTQ+ n’étaient pas parties prenantes au dialogue national sur l’itinérance chez les jeunes. Depuis, il a vu une réelle évolution dans la volonté des gens de comprendre les difficultés auxquelles ces jeunes font face.

Pas seulement un problème de grande ville

La plupart des gens présument que l’itinérance chez les jeunes 2SLGBTQ+ est un « problème de grande ville », mais Alex Abramovich, lui-même un homme trans, sait que ce n’est pas le cas. Il a grandi en banlieue, dans la région de York, et se rappelle qu’il n’y avait pas beaucoup de services destinés aux personnes 2SLGBTQ+ quand il était plus jeune. Il affirme qu’il est facile pour les personnes qui se disent 2SLGBTQ+ de devenir itinérantes, surtout si elles viennent de familles qui ne les soutiennent pas.

S’il y a des organismes qui offrent des services aux jeunes 2SLGBTQ+ dans les grands centres urbains comme Toronto, il n’y en a généralement pas en banlieue et en milieu rural, et, par conséquent, on connaît moins bien ce que vivent les personnes 2SLGBTQ+ de ces collectivités. Cela fait en sorte que leurs besoins ne sont pas pris en compte dans les discussions sur les politiques visant à mettre fin à l’itinérance chez les jeunes. Alex Abramovich a voulu changer cela au moyen d’un projet de recherche financé par une subvention Savoir du CRSH.

Nouveaux moyens pour atteindre les jeunes 2SLGBTQ+

Il a mené des entrevues auprès de 33 jeunes de 13 à 26 ans, leur demandant de parler de leur sortie du placard, de ce qui les a menés à l’itinérance et de leurs tentatives d’accès à différents services. Il a également rencontré neuf travailleuses et travailleurs de première ligne qui lui ont parlé de leur travail auprès des jeunes en situation d’itinérance dans la région de York.

Infographies créées pour faire connaître les conclusions du projet de recherche

Photo : Alex Abramovich

Il s’est avéré difficile de trouver des jeunes prêts à participer. Il en a recruté quelques-uns par l’intermédiaire des centres de jour des organismes communautaires. Or, beaucoup de jeunes 2SLGBTQ+ ne fréquentent pas ces centres parce qu’ils ne s’y sentent pas en sûreté ou se sentent exclus. Alex Abramovich est donc allé à leur rencontre.

Il a utilisé le laboratoire de recherche mobile du CAMH – une remorque dotée d’un espace privé pour les entrevues – et a créé des liens avec des jeunes 2SLGBTQ+ en situation d’itinérance à l’occasion d’événements dans la région de York, dont le défilé de la Fierté. Le laboratoire de recherche mobile est un espace sûr et inclusif où les jeunes ont pu parler de leur vécu ailleurs que dans le contexte d’un organisme. Alex Abramovich a également obtenu leur confiance en leur faisant part de sa propre histoire.

Il dit avoir été très vrai avec eux, sachant ce qu’on ressent quand on est une jeune personne queer. Quand il a révélé son identité de genre, les jeunes ont manifesté de l’intérêt à l’égard de l’étude, ce qu’il attribue au fait que les gens veulent se voir représentés dans les programmes et les recherches auxquels ils participent.

Lien entre traumatisme et santé mentale

Alex Abramovich a constaté que les jeunes 2SLGBTQ+ qui ont participé à la recherche sont souvent venus à l’itinérance parce que leur famille les avait rejetés en raison de leur identité de genre. Bon nombre se sont retrouvés à dormir sur le divan chez des amis. Dans une étude distincte, il a montré les effets néfastes de la COVID-19 sur ces jeunes : quand la pandémie est arrivée, plusieurs d’entre eux ont été invités à partir et n’ont eu d’autre endroit où aller que la rue.

Ses recherches ont également confirmé que les troubles de santé mentale sont très courants chez les jeunes 2SLGBTQ+ sans-abri. Parmi les jeunes interviewés, 61 p. 100 souffraient de dépression, 65 p. 100 avaient connu des crises d’angoisse aiguës, et d’autres faisaient état de troubles de l’alimentation, d’usage de substances psychoactives et de propension au suicide. Il estime que ces constatations laissent entendre que nombreux sont les jeunes 2SLGBTQ+ sans-abri qui ne reçoivent pas le soutien dont elles et ils ont besoin en santé mentale.

Quand les travaux financés par le CRSH ont pris fin, Alex Abramovich a rédigé un rapport dans lequel il fait des recommandations aux gouvernements et aux organismes communautaires. Un organisme a agi immédiatement. En s’inspirant des travaux du chercheur, l’organisme Blue Door a créé, en 2021, le programme de logement supervisé INNclusion, qui est le premier programme de logement destiné spécifiquement aux jeunes 2SLGBTQ+ de la région de York.

C’est un excellent début, mais Alex Abramovich croit qu’il faut faire plus, non seulement au Canada mais partout dans le monde. Les enseignements tirés dans la région de York peuvent impulser le changement ailleurs.

Les jeunes qui ont participé à cette étude doivent sans cesse choisir entre un endroit qui n’est pas sûr et un autre qui ne l’est pas davantage. Si on leur procure un endroit sûr où vivre, ce sont beaucoup de vies qui peuvent être sauvées, selon lui.


Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur les travaux d’Alex Abramovich, on peut le suivre sur Twitter et Instagram, télécharger le rapport intégral et lire les articles que lui ont consacré le Toronto Star et YorkRegion.com (en anglais).