Une lueur d’espoir : mise au point d’un traitement révolutionnaire pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de lésions de la moelle épinière


Fonds Nouvelles frontières en recherche | Date de publication : 2022-02-14 14:40 PM (heure de l’Est)

Photo : J. C. Rosemann

Petit, Wolfram Tetzlaff savait déjà quel chemin professionnel il suivrait, un chemin guidé par sa fascination pour son père. « Quand j’étais petit, je regardais mon père qui était rentré blessé de la guerre et je cherchais à comprendre pourquoi il ne pouvait plus lever sa main », explique-t-il. Voilà la raison pour laquelle Wolfram Tetzlaff a désiré comprendre pourquoi les nerfs de l’épaule de son père ne se sont jamais réparés après que celui-ci a été blessé par des éclats d’obus.

La curiosité et la volonté d’aider les personnes atteintes de lésions nerveuses et modullaires l’ont mené à suivre des études dans une école de médecine de son Allemagne natale, puis à faire des études de doctorat à l’University of Calgary. Trouver comment réparer les lésions de la moelle épinière est devenu, pour M. Tetzlaff, le travail de toute une vie.

Wolfram Tetzlaff est arrivé au Canada dans les années 1980 après que des chercheurs montréalais aient découvert que les fibres nerveuses du système nerveux central peuvent se régénérer si on leur fournit un pont approprié pour combler l’écart formé dans le tissu endommagé de la blessure.

Nous savons depuis quelques dizaines d’années que ces axones doivent se développer à travers un espace d’environ un ou deux centimètres de long. Mais pour l’instant, il n’existe aucune méthode pour que cela se réalise.

« Il y a environ 20 ans, alors que je discutais avec des collègues spécialistes des matériaux biologiques en zoologie étudiant les soies d’araignée, une idée est née : ce dont nous avions besoin était un matériau de pontage injectable qui pourrait être aligné, d’une manière ou d’une autre, pour créer le type de structure de réparation (ou pont) qui permettrait aux fibres nerveuses de se développer », se rappelle-t-il.

Monsieur Tetzlaff est aujourd’hui professeur de zoologie et de chirurgie et directeur de l’International Collaboration on Repair Discoveries (ICORD), un centre de recherche de pointe sur les lésions de la moelle épinière situé à l’University of British Columbia. C’est dans ce centre qu’il a fait équipe avec John Madden et Karen Cheung, deux ingénieurs, chercheurs et professeurs de l’University of British Columbia qui sont spécialisés dans le développement de matériaux tels que les polymères et les hydrogels pouvant être utilisés dans le corps humain.

« Alors que je visitais son laboratoire, M. Tetzlaff m’a exposé sa vision de la réparation de la moelle épinière et des défis que cela représentait », explique John Madden.

Ces défis proviennent de l’écart créé par la blessure dans la moelle épinière, qui relie le cerveau au reste du corps. À la suite d’une chute, d’un accident de voiture ou d’une blessure par balle, par exemple, un tissu cicatriciel se forme autour de la blessure à la moelle épinière. Ce tissu crée un écart qui empêche les nerfs de se connecter et de communiquer entre eux. Sans ces connexions – appelées « axones » –, nous perdons des fonctions corporelles de base telles que la marche, l’utilisation des mains, le contrôle de la vessie et des selles, la fonction sexuelle, la transpiration et la régulation de la température.

« Nous savons depuis quelques dizaines d’années que ces axones doivent se développer à travers un espace d’environ un ou deux centimètres de long, ajoute M. Madden. Mais pour l’instant, il n’existe aucune méthode pour que cela se réalise. »

La recherche sur les lésions médullaires tente depuis plus de dix ans de mettre au point une technologie de pontage et a eu un certain succès pour les lésions animales artificielles. Le matériau de pontage se doit de préserver la délicate moelle épinière et d’empêcher d’autres dommages aux fibres nerveuses fonctionnelles. Toutefois, l’insertion de matériaux de pontage solides s’est avérée très risquée, car la procédure peut mettre en péril les fonctions corporelles épargnées.

Monsieur Tetzlaff a demandé à John Madden et Karen Cheung de produire un matériau liquide pour créer un pont qui aiderait les axones à se développer dans l’écart causé par la blessure. Ce liquide sera injecté chez une personne atteinte d’une lésion de la moelle épinière à l’aide d’un appareil robotique guidé par vision artificielle, afin que la procédure soit peu risquée et peu invasive et qu’elle n’endommage pas davantage les connexions encore existantes dans la moelle épinière.

Première mondiale, cette procédure peu invasive a le potentiel de transformer le traitement des personnes atteintes de lésions de la moelle épinière.

« Nous prévoyons insérer une aiguille dans la partie endommagée de la moelle épinière pour injecter le liquide, explique M. Madden. Ce liquide contient de minuscules tiges, qui sont alignées par un champ magnétique externe dans le but de former des conduits le long desquels les fibres nerveuses pourront se développer. Le liquide contient également des médicaments visant à éliminer le tissu cicatriciel et à réveiller les nerfs. »

Première mondiale, cette procédure peu invasive a le potentiel de transformer le traitement des personnes atteintes de lésions de la moelle épinière. Intitulé Mend the Gap: A Transformative Biomaterials Platform for Spinal Cord Repair, le projet s’est vu accorder 24 millions de dollars au cours des six prochaines années dans le cadre du volet Transformation 2020 du fonds Nouvelles frontières en recherche. L’équipe qui mène ce projet est dirigé par John Madden et appuyée par de nombreux départements et facultés de l’University of British Columbia, notamment l’école de génie biomédical, le département de génie électrique et informatique et les facultés des sciences appliquées, de médecine et des sciences.

En collaboration avec 32 chercheures et chercheurs, ingénieures et ingénieurs et chirurgiennes et chirurgiens du Canada, des États-Unis, d’Europe et d’Australie, l’équipe développera et testera la gélule liquide à injecter dans la moelle épinière. Parmi les collaboratrices et collaborateurs du Canada se trouvent Victor Yang, de la Western University, dont le travail porte sur la procédure d’injection peu invasive, ainsi que Molly Shoichet, de l’University of Toronto, et Alyson Fournier, de l’Université McGill, dont la contribution consiste à déterminer les méthodes d’administration des médicaments et les moyens de stimuler la croissance des fibres nerveuses. Pour sa part, Karim Fouad, de l’University of Alberta, effectue des expériences précliniques sur l’administration de traitements à plusieurs composants.

« À la fin du projet, notre objectif est de nous préparer à l’étape des essais cliniques pour pouvoir en bout de ligne effectuer des tests sur des sujets humains », précise M. Madden.

« Nous nous sentons extrêmement reconnaissants et privilégiés d’avoir obtenu cette subvention, ajoute Dena Shahriari, cochercheure principale du projet, professeure adjointe à l’University of British Columbia et ingénieure biomédicale spécialisée dans les dispositifs et matériaux bioélectroniques. Nous tentons d’aider les personnes atteintes d’une lésion médullaire. Chacune et chacun d’entre nous apporte une expertise différente, mais nous partageons toutes et tous le même rêve. »

Laura De Laporte partage aussi ce rêve. Experte en matériaux avancés pour la biomédecine et professeure de chimie au DWI Leibniz‑Institute for Interactive Materials de l’Université Aachen en Allemagne, Mme De Laporte a commencé, il y a environ cinq ans, à mettre au point un gel pouvant être aligné de façon magnétique dans le but de traiter les personnes atteintes de lésions de la moelle épinière. Son travail a attiré l’attention de l’équipe de recherche canadienne et elle fait maintenant partie des onze cochercheures principales et cochercheurs principaux du projet, aux côtés de M. Tetzlaff, M. Madden, Mme Cheung et Mme Shahriari. Selon elle, cette technologie est l’avenir du traitement des lésions médullaires.

« J’ai toujours voulu créer un matériau qui combine la capacité d’injection à une structure orientée pour guider la régénération nerveuse. Cette approche peu invasive paraît être le Saint Graal : un moyen d’éviter de faire plus de dégâts au corps tout en créant un environnement propice à la guérison naturelle. Grâce à une équipe de chercheures et chercheurs du Canada et d’ailleurs, cette technologie a la capacité de s’étendre à l’échelle mondiale et d’accélérer la réalisation d’un traitement minimisant les risques. »

Et comme cette chirurgie sera peu invasive, l’intervention devrait être moins coûteuse et le temps de convalescence relativement court. L’équipe de recherche est d’avis que cette nouvelle technologie fonctionnerait mieux chez des personnes dont les lésions médullaires sont récentes, mais elle espère qu’elle pourrait également aider les personnes atteintes de telles lésions depuis des années. L’équipe est consciente de l’énorme responsabilité éthique liée à ses travaux de recherche. C’est pourquoi elle compte dans ses rangs des expertes et experts en neuro‑éthique ainsi que des collaboratrices et collaborateurs issus de la communauté des personnes atteintes de lésions médullaires.

« Nous devons faire attention à ne pas donner trop de faux espoirs dès le début, car nous faisons affaire à des personnes à qui l’ont a déjà fait des promesses par le passé, ajoute M. Madden. Nous devons nous assurer d’être réalistes pour que les personnes que nous voulons aider ne s’attendent pas à ce qu’une solution miracle leur soit offerte de sitôt. »

« Cette recherche est la raison pour laquelle je travaille arrache-pied, ajoute Mme Shahriari. Bien que je veuille maintenant l’équilibre entre ma recherche et ma qualité de vie, je désire aussi favoriser l’autonomie des personnes atteintes de lésions de la moelle épinière et de leurs familles. »

Selon M. Tetzlaff, trouver un « remède », comme on l’entend habituellement, est irréaliste à l’heure actuelle, car le système nerveux central est extrêmement complexe. Cela dit, tout dépend de ce que l’on entend par guérison. « Un pianiste qui retrouverait la capacité de jouer du piano, explique-t-il, serait un rêve trop optimiste. En revanche, si la guérison se définit par le fait de retrouver une certaine indépendance en ayant à nouveau la fonction de ses mains, le contrôle de sa vessie et de ses selles ou le contrôle de sa tension artérielle, on pourrait parler d’une forme de guérison. »

Voir l’équipe de recherche arriver à améliorer la fonction motrice et à augmenter la durée de vie des personnes atteintes de lésions médullaires de même qu’à offrir une meilleure qualité de vie à ces personnes et à leurs familles est ce qui serait, pour Wolfram Tetzlaff, preuve de réussite.

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