BIOSCAN : un système de biosurveillance mondial serait peut-être la clé de la protection de la vie sur la planète


Fonds Nouvelles frontières en recherche | Date de publication : 2022-01-10 10:00 AM (heure de l'Est)

Le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie moléculaire, Paul Hebert (en haut à droite), et son équipe du Centre for Biodiversity Genomics à l'xUniversity of Guelph, devant une collection de plus de cinq millions de spécimens entièrement numérisés. (Photo : Jaclyn McKeown, University of Guelph)

Paul Hebert se souvient très bien d’avoir été un petit garçon de six ans curieux qui passait des heures à explorer la cour de la résidence familiale à Kingston, en Ontario.

Fasciné par la biodiversité, sa collection d’insectes lui a procuré les moments les plus mémorables de son enfance.

Il voulait en savoir plus au sujet des insectes qu’il collectionnait : leur nom, leur fonction et leur importance pour la vie sur Terre. Quelques décennies plus tard, cet intérêt allait se transformer en profession.

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biologie moléculaire et biologiste de renommée mondiale, Paul Hebert, qui a maintenant 74 ans, dit avoir toujours été obsédé par la biodiversité et avoir toujours voulu connaître les espèces qu’il voyait.

En 2000, il a eu une illumination alors qu’il était au supermarché. Déambulant dans les allées, il s’est attardé aux courtes chaînes numériques des codes-barres utilisés pour différencier les articles et a eu cette intuition de génie : les chaînes d’ADN sont vraiment très similaires aux codes à barres du commerce de détail, et il devrait donc être possible de différencier les espèces à partir de courtes séquences d’ADN.

De retour chez lui, il s’est mis au travail, tablant sur les connaissances en taxonomie acquises durant sa jeunesse.

Il est retourné à sa collection d’insectes et s’est aperçu qu’il pouvait reconnaître chacune des espèces par son code-barres génétique. Si cela fonctionne pour ce groupe d’insectes recueillis dans ma cour, s‘est-il dit, il devrait en être de même pour tous les animaux de la planète.

La tâche s’annonçait gigantesque, mais sa soif de connaissance allait alimenter une mission mondiale. En 2003, il avait établi un partenariat avec des scientifiques du Canada et d’autres pays, et, en 2010, cette alliance s’était élargie pour devenir le Consortium iBOL (International Barcode Of Life). Ce consortium regroupe des organismes de recherche de 40 pays qui se sont associés pour mener le projet BIOSCAN, doté de 180 millions de dollars. Les scientifiques ont recours au séquençage de l’ADN pour catégoriser toutes les plantes, tous les organismes et tous les animaux, qu’ils vivent sur terre, dans les airs ou dans l’eau, et les ajoutent à une bibliothèque de référence. L’objectif est ambitieux : y regrouper l’information concernant toutes les espèces multicellulaires de la planète d’ici 2045.

[Les populations humaines] ont décimé les espèces avec lesquelles elles partagent la planète. Il faut renverser cette tendance; à tout le moins, il faut absolument s’assurer qu’elle ne s’accentue pas.

Reconnaissant l’énorme tâche qui attend l’équipe pour plusieurs années à venir et le potentiel transformateur du projet BIOSCAN, le fonds Nouvelles frontières en recherche lui a attribué une subvention de 24 millions de dollars sur six ans, dans le cadre du concours 2020 du volet Transformation. Le projet a pour but l’expansion de la bibliothèque de codes génétiques, l’examen des interactions entre les espèces et l’étude de l’évolution de l’abondance et de la répartition des espèces par suite des changements climatiques. Paul Hebert et ses collaborateurs pourront suivre les tendances en matière de biodiversité à l’échelle planétaire et ainsi fournir aux responsables des politiques les données nécessaires à l’appui de la prise de décision tout en permettant à toute personne, où qu’elle soit dans le monde, d’avoir accès à la bibliothèque de codes génétiques.

Les travaux ont déjà donné lieu à des applications concrètes.

L’Agence canadienne d’inspection des aliments utilise ces méthodes pour repérer les fraudes visant les consommateurs et les substitutions dans les produits. Le but visé n’était pas la création d’entreprises privées, selon Paul Hebert. Le centre de recherche a néanmoins essaimé, et six entreprises ont été créées dans des domaines très divers allant de la surveillance de la COVID-19 à l’analyse des impacts de l’exploitation pétrolière en mer sur les écosystèmes marins au large des côtes de Terre-Neuve.

Depuis le Centre for Biodiversity Genomics qu’il a fondé à l’University of Guelph, Paul Hebert souligne que les populations humaines ont connu une croissance exponentielle depuis sa naissance et qu’elles ont décimé les espèces avec lesquelles elles partagent la planète. Il faut renverser cette tendance; à tout le moins, il faut absolument s’assurer qu’elle ne s’accentue pas.

Le projet BIOSCAN permettra en outre d’intensifier la collaboration avec les communautés autochtones au Canada et ailleurs.

Les peuples autochtones partout dans le monde ont depuis toujours pris soin de leurs terres et de leurs eaux, affirme Crystal Tremblay, chercheure en début de carrière et professeure adjointe de géographie à l’University of Victoria, qui dirige l’équipe du volet mobilisation communautaire et biodiversité du projet BIOSCAN. Ces peuples comprennent le lien intrinsèque qui existe entre les espèces et savent à quel point il est sacré et qu’il y a tellement à apprendre d’elles.

Elle estime que le projet BIOSCAN pourrait se traduire par une amélioration de la gestion des pêches et de la gestion des cours d’eau. Elle croit également qu’il peut en résulter une plus grande collaboration entre les gouvernements et les communautés autochtones en ce qui concerne toutes sortes de questions, dont l’habitat et l’intendance du saumon.

Pour Melania Cristescu, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en génomique écologique et professeure de biologie à l’Université McGill de Montréal qui se spécialise en biosurveillance aquatique, il s’agit d’une forme de science judiciaire. Tout comme le médecin légiste peut analyser un petit échantillon de sang prélevé sur une scène de crime pour identifier un suspect, les chercheurs de l’équipe peuvent analyser les conditions environnementales à partir d’un échantillon d’eau provenant d’un milieu donné : ils en filtrent l’ADN et peuvent ensuite identifier tous les organismes qui vivent dans ce milieu.

Son équipe peut non seulement déterminer les espèces qui vivent dans un habitat donné, mais peut également voir les gènes qui sont activés et ceux qui sont désactivés. Elle peut ainsi établir dans quelle mesure les espèces qui peuplent nos lacs et océans sont saines et quels habitats sont soumis au stress.

En se servant de la technologie utilisée pour analyser les échantillons d’eau, l’équipe du projet BIOSCAN mesure l’ADN dans l’air pour découvrir les espèces présentes partout sur la planète.

Cela permet d’obtenir l’information optimale pouvant servir à l’adoption de mesures de protection, de préciser Melania Cristescu.

Mais l’innovation ne s’arrête pas là. En se servant de la technologie utilisée pour analyser les échantillons d’eau, l’équipe du projet BIOSCAN mesure l’ADN dans l’air pour découvrir les espèces présentes partout sur la planète.

C’est magique, se réjouit Paul Hebert, c’est vraiment chouette : simplement en filtrant l’air, on peut savoir quelles espèces vivent dans les environs – quels sont les oiseaux dans les airs et les mammifères au sol.

C’est certainement très chouette pour le petit garçon de six ans dont la curiosité est encore aujourd’hui le moteur des travaux et qui peut maintenant voir ses rêves se réaliser.

L’enfant en lui ressent une vive émotion en voyant qu’il lui est possible de différencier les espèces, mais il pense aussi au monde qui attend son petit-fils de sept ans et à tout ce qui sera possible au cours de sa vie : sa génération devra beaucoup mieux prendre soin de la nature.

Le fonds Nouvelles frontières en recherche finance un projet d’une durée de six ans, mais il faudra beaucoup plus longtemps – 24 ans – à l’équipe pour consigner toutes les espèces multicellulaires de la planète. Paul Hebert aura alors 98 ans. Il espère que son héritage aura un écho chez les générations futures.

Ce serait bien de pouvoir se dire mission accomplie, un système de biosurveillance mondial est en place, estime-t-il. Toutefois, il se dit également heureux de manquer le dernier acte, car il a été là au tout début, et le fait de contribuer à faire avancer les choses lui a procuré énormément de joie. Il est immensément reconnaissant au Canada et au soutien qu’il apporte à la science.


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