Redéfinir les soins aux personnes atteintes de démence
Une étude internationale se penche sur des solutions axées sur la communauté et la qualité de vie
Atelier de poterie pour les personnes atteintes de démence organisé par la Dementia Co-Creation Academy, un groupe communautaire de la Colombie-Britannique qui participe au projet de recherche
Photo : Samantha Pineda Sierra, New Westminster, Colombie-Britannique
Alison Phinney, alors jeune infirmière, ne manquait pas d’enthousiasme au moment de commencer son premier emploi dans un hôpital de soins psychiatriques de courte durée de Montréal. Elle était toutefois loin de se douter que sa patientèle ferait naître en elle une passion qui la suivrait toute sa vie.
« Dans mon service, des personnes atteintes de démence étaient souvent renvoyées à cause de “problèmes comportementaux”, se rappelle-t-elle. J’ai tout de suite senti un lien avec ces gens. Je voulais rendre leur vie plus supportable, et aussi comprendre ce que c’est que de vivre avec la démence, et qu’est-ce qui fait une bonne journée pour elles et eux. »
Urban Abbey Dementia Café: A Place to Belong, un groupe Communautaire de Thunder Bay qui participe au projet de recherche
Photo : Andréa Monteiro, Thunder Bay, Ontario
Animée de cette curiosité, Mme Phinney a entrepris un doctorat en soins infirmiers. Aujourd’hui, des décennies plus tard, cette experte de renommée mondiale de la démence et du vieillissement est directrice du Centre for Research on Personhood in Dementia (en anglais) de l’University of British Columbia (UBC) ainsi que professeure et directrice adjointe du perfectionnement du corps enseignant à l’UBC School of Nursing (en anglais).
Mme Phinney a consacré sa carrière à défendre les personnes atteintes de démence.
« On ne peut pas ignorer à quel point c’est difficile de vivre avec la démence, pour les personnes elles-mêmes comme pour leurs proches qui s’en occupent », insiste-t-elle.
Approche communautaire et perspective internationale
Dans le cadre d’un projet de l’Open Research Area (ORA) réunissant trois pays, Mme Phinney agit comme directrice du volet canadien, qui est financé par le CRSH. En collaboration avec le chercheur principal Richard Ward, du Royaume-Uni, et de Reimer Gronemeyer, de l’Allemagne, elle se penche sur les défis mondiaux en matière de soins aux personnes atteintes de démence. Leur étude, intitulée Centring The Lived Experience Of Dementia Within Policy, Practice And Community Development (en anglais), cherche à circonscrire les problèmes dans les soins offerts par les services sociaux et les systèmes de santé ainsi qu’à imaginer de nouvelles solutions.
« La démence est un sujet de plus en plus préoccupant à l’échelle internationale en raison du vieillissement de la population », explique-t-elle.
À l’heure actuelle, plus de 55 millions de personnes en sont atteintes dans le monde, un chiffre qui devrait grimper à 82 millions d’ici 2030. La démence affecte la mémoire, la capacité de réflexion et le fonctionnement au quotidien, et exige des solutions urgentes en matière de soins.
« Jusqu’à maintenant, les travaux sur la démence se sont faits en vase clos, et chaque partie du système pelletait le problème dans la cour du voisin. La collaboration internationale permet de créer un cadre d’apprentissage réciproque et une plateforme pour passer à l’action. »
À l’écoute des expériences vécues
Les travaux de recherche sont répartis entre six sites dans le monde : deux collectivités en Allemagne, une en Écosse, une dans le sud-est de Londres, et deux au Canada, à Vancouver et Thunder Bay. Grâce à des méthodes comme l’« entretien en marchant » et le « journal de l’emploi du temps », les chercheuses et chercheurs interagissent avec les personnes atteintes de démence pour mettre en lumière leurs expériences et leurs combats au quotidien.
Le parfum des roses – Photo prise lors d’une entrevue faite en marchant, en Écosse
Photo : Mary Njoki, Stirling, Écosse
« Nous ne faisons pas d’entretiens traditionnels avec les personnes, et optons plutôt pour marcher avec elles, en les observant et en échangeant sur leur vie en temps réel, précise Mme Phinney. Nous tentons de connaître leurs désirs, leurs aspirations et leurs besoins à la maison. »
L’étude inclut aussi des entretiens avec des décisionnaires, des leaders communautaires et des praticiennes et praticiens de la santé, le but étant de comprendre les problèmes systémiques en matière de soins aux personnes atteintes de démence.
Mettre l’accent sur les soins et la participation plutôt que sur le traitement
Les premiers résultats de l’étude font état d’un besoin de considérer la démence comme un enjeu sociétal plutôt que comme une maladie à laquelle il faut trouver un remède.
« Le gros du financement va à la recherche d’un traitement, mais nous devrions nous concentrer sur les soins et la participation, en favorisant le maintien à domicile, le soutien dans la communauté et une vie active. On voit beaucoup de solutions sur le terrain. »
L’étude a permis de découvrir des initiatives communautaires déjà en place et adaptées aux personnes vivant avec la démence. Par exemple, à la Kitsilano Neighbourhood House (en anglais), à Vancouver, ces dernières sont jumelées à des étudiantes et étudiants bénévoles formés, qui deviennent ainsi des « camarades » (en anglais) les aidant à poursuivre les activités quotidiennes, les sports et les passe-temps qu’elles avaient avant d’être atteintes de démence. Autre exemple : le programme Dementia Co-Creation Academy (en anglais), qui comprend une série d’ateliers d’initiation à de nouvelles activités artistiques.
« Ces initiatives locales donnent un but à ces personnes, diminuent la dépression et renforcent la confiance. On peut aisément les mettre en place partout dans le monde. Or, aucun système national ou international n’a été en mesure d’explorer des méthodes intégrées pour combler les lacunes dans les soins aux personnes atteintes de démence. »
Mme Phinney espère que l’étude du projet de l’ORA, qui devrait se terminer en 2026, aiguillera les décisions en matière de politiques et aidera à mettre fin à la stigmatisation entourant la démence.
« Les personnes atteintes de démence doivent être vues comme des membres à part entière de la communauté, plaide-t-elle. Mon but est de trouver des moyens pour qu’elles aient plus de belles journées que de mauvaises, en restant à la maison et en jouant un rôle dans leur milieu. La tâche est difficile et compliquée, mais c’est précisément pour cela que nos recherches comptent. »