La diversité des voix au service de la justice sociale

Ce que les artistes canadiennes et canadiens d’origine sud-asiatique peuvent nous apprendre

Tazeen Qayyum, A Holding Pattern, 2013, œuvre contextuelle, installation à techniques mixtes, Aéroport international Pearson de Toronto.

Photo :  ©Faisal Anwar

Depuis des décennies, les écrivaines, écrivains et cinéastes d’origine sud-asiatique contribuent énormément aux arts et à la culture du Canada. Si un certain nombre d’entre eux sont bien connus de la population canadienne et ont remporté d’importants prix nationaux et internationaux – c’est le cas, entre autres, de Deepa Mehta, Rohinton Mistry, Michael Ondaatje et M.G. Vassanji –, beaucoup d’autres, qui ne travaillent ni en français ni en anglais, sont souvent méconnus.

Asma Sayed, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études littéraires et culturelles sud-asiatiques de la Kwantlen Polytechnic University en Colombie-Britannique, s’emploie à changer cela. Par ses travaux, elle veut faire connaître ces artistes, les artistes visuels, entre autres, et rendre leurs œuvres plus accessibles afin que davantage de Canadiennes et Canadiens en tirent des enseignements, en particulier au sujet des questions de justice sociale, qui ne peuvent que bénéficier de la diversité des voix et des points de vue.

Elle est d’avis que la littérature et les arts visuels peuvent être des outils permettant de faire progresser la justice dans notre société, car ils ouvrent une fenêtre sur la compréhension du monde que nous habitons.

Un apport artistique peu étudié au Canada

Panchal Mansaram, India Movie Poster at Bombay Bus Stand 1976-1983, épreuve à la gélatine argentique. Don de l’artiste.

Avec l’aimable autorisation du Musée royal de l’Ontario ©ROM

Quand Asma Sayed est arrivée au Canada il y a plus de vingt ans, elle a constaté que l’on ne prêtait guère attention aux artistes d’origine sud-asiatique. Seul un tout petit nombre dont les œuvres étaient produites dans les langues officielles du Canada suscitait la discussion dans les cercles universitaires et littéraires. Pourtant, elle savait qu’il y avait bien d’autres écrivaines, écrivains et cinéastes canadiens d’origine sud-asiatique qui contribuaient à la scène culturelle du pays depuis plus d’un siècle. Mais leurs œuvres étaient produites dans des langues comme le panjabi, l’ourdou, l’hindi ou le gujarati, ou publiées dans de petits magazines et journaux communautaires au Canada ou à l’étranger, et la plupart n’avaient pas été traduites et mises à la disposition d’une grande partie de la population canadienne.

Asma Sayed estime que les récits et les messages de ces artistes sont importants, surtout en ce qui concerne des sujets tels que les réfugiés, les traumatismes intergénérationnels et la violence familiale et sexuelle, et qu’ils méritent d’être étudiés davantage.

Réorientation du débat

Elle mène trois projets distincts dans le but d’accroître la visibilité de ces artistes. Tout d’abord, elle s’attaque à la tâche monumentale de faire traduire leurs œuvres en anglais – elle fera d’ailleurs elle-même la traduction dans certains cas – afin de publier une anthologie. Elle procède également à l’analyse narrative de certaines œuvres : dans un premier temps, elle examine ce que six à huit écrivaines ont à dire sur la violence et la migration et en quoi leurs ouvrages peuvent nourrir le militantisme ou le changement social.

De plus, elle est en train de constituer une base de données numérique, qui sera non seulement un répertoire des artistes canadiens d’origine sud-asiatique et des œuvres qu’elles et ils ont créées de 1910 à 2010, mais également une vitrine pour certaines et certains d’entre eux qu’elle présentera au moyen d’entrevues émaillées de récits de vie et de réflexions sur l’art.

Panchal Mansaram, Image India #63, 1994, papier, encre. Don de l’artiste

Avec l’aimable autorisation du Musée royal de l’Ontario ©ROM

Elle souligne que les autrices et auteurs qui écrivent dans d’autres langues que le français et l’anglais étaient souvent surpris quand elle communiquait avec eux et ravis aussi que quelqu’un s’intéresse à ce qu’elles et ils font. Ce sera intéressant, croit-elle, de voir l’impact que le fait de rendre ces œuvres accessibles aura sur les débats qui ont cours dans les milieux culturels et universitaires.

Jusqu’à maintenant, elle a terminé le profil d’une cinquantaine d’artistes, écrivaines et écrivains (dont certaines et certains travaillent en anglais mais qui sont moins connus, comme Jenna Butler, Farzana Doctor, Oliver Husain et Tazeen Qayyum) et elle espère que la base de données sera en ligne début 2023. Elle compte également l’étoffer, de sorte qu’elle contiendra un jour de l’information sur 500 écrivaines, écrivains, cinéastes et artistes visuels canadiens d’origine sud-asiatique.

L’art au service de la justice sociale

Asma Sayed pense que la base de données aidera les enseignantes et enseignants qui œuvrent dans différents domaines, dont la littérature, le cinéma et les études sur le genre, à mieux faire connaître ces artistes et rendra également les œuvres plus accessibles au grand public. À son avis, les contributions des artistes d’origine sud-asiatique au Canada sont essentielles à la compréhension de l’histoire culturelle, sociale et littéraire du pays – et leurs œuvres peuvent être d’importants « outils de résistance » quand il s’agit d’aborder les grandes questions de justice sociale.

Les récits et les œuvres des artistes d’origine sud-asiatique traitent de questions ayant trait aux déplacements de populations, à la violence, au racisme, au sexisme, à la colonisation et au capacitisme. En les analysant, Asma Sayed veut explorer le rôle que l’art peut jouer pour sensibiliser aux injustices et favoriser une société canadienne juste et équitable.

En savoir plus

Pour en savoir plus sur les travaux d’Asma Sayed, on peut la suivre sur Twitter à @DrAsmaSayed et lire l’entrevue (en anglais) qu’elle a accordée à la publication en ligne The Runner.