Vers un système de production et de distribution des aliments plus juste et plus durable

Nouvelles approches pour lutter contre l’insécurité alimentaire

La ferme Happiness by the Acre est l’un des membres fondateurs de la coopérative YYC Growers and Distributors. L’objectif de ce regroupement est de fournir un marché fiable aux petits agriculteurs et producteurs locaux de l’Alberta qui font appel à l’agriculture régénératrice pour insuffler une nouvelle vie dans le système agro-industriel.

Photo : Logan Bryce Photography

On estime que 4,4 millions de Canadiennes et Canadiens vivent de l’insécurité alimentaire et sont contraints de choisir entre payer leur loyer ou acheter de la nourriture. Or, pour résoudre ce problème, il ne suffit pas de réduire les prix des aliments, car nombre d’agriculteurs et de producteurs éprouvent également de la difficulté à joindre les deux bouts. Selon Marit Rosol, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études urbaines internationales et professeure au sein du Département de géographie de l’University of Calgary, la lutte contre l’insécurité alimentaire passera par une hausse des revenus et par la promotion de nouveaux modes de production et de distribution.

D’après elle, l’alimentation est un formidable moyen de rapprocher les gens, mais il importe de mieux comprendre comment la chaîne d’approvisionnement alimentaire fonctionne – et pourquoi ses deux extrémités connaissent des difficultés.

Qu’est-ce que l’insécurité alimentaire?

Rod Olson, membre fondateur de la coopérative YYC Growers and Distributors, et son fils examinent une plante près du bassin d’irrigation de la ferme Happiness by the Acre.

Photo : Logan Bryce Photography

L’insécurité alimentaire ne se limite pas au fait de manquer de nourriture. On parle également d’insécurité alimentaire lorsqu’une personne doit rater des repas avec des amis ou faire des compromis sur la qualité en achetant le produit le moins cher plutôt que son produit préféré ou le produit le plus nutritif. La mauvaise alimentation et l’appauvrissement de la vie sociale qui s’ensuivent peuvent avoir des répercussions négatives sur la santé physique et mentale. Mais les dons de nourriture (par les banques alimentaires par exemple) ne suffisent pas si l’on veut s’attaquer à la racine du problème, à savoir le manque de revenu.

L’insécurité alimentaire est également reliée à l’insécurité en matière de logement. En raison de la hausse du coût du logement, les gens doivent consacrer une plus grosse part de leur revenu au paiement du loyer ou de l’hypothèque, ce qui leur laisse moins d’argent pour la nourriture (dont le coût augmente également à cause de problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement et à la pénurie de main-d’œuvre qui sont attribuables à la pandémie).

À l’autre extrémité de la chaîne alimentaire, la configuration du système de distribution ne laisse aux producteurs que des marges soit extrêmement minces soit inexistantes, ce qui rend impossible toute autre baisse des prix à la production agricole.

Selon Marit Rosol, le système est en lui-même une grande partie du problème : tout le pouvoir est concentré dans les mains des intermédiaires, c’est-à-dire les grands distributeurs; ce sont eux qui dictent les prix aux producteurs et aux consommateurs.

Examen d’autres systèmes de production et de distribution des aliments

Une partie des travaux de Marit Rosol consiste à se pencher sur d’autres systèmes de production et de distribution des aliments et sur d’autres modèles économiques au Canada et en Allemagne pour trouver ceux qui pourraient réellement faire changer les choses.

La chercheure explique que, pour créer de véritables économies alternatives, il faut examiner des façons différentes d’organiser la production alimentaire ainsi que d’autres types de financement et de régimes fonciers.

Parcelle d’agriculture urbaine à Calgary, en Alberta. Dirt Boys, membre de la coopérative YYC Growers and Distributors, met à profit des espaces urbains sous-utilisés pour fournir des produits locaux aux citadins.

Photo : Logan Bryce Photography

Pour savoir ce qui fonctionne et ce qui pourrait passer à plus grande échelle ou être adapté, Marit Rosol rencontre des personnes investies dans des initiatives nouvelles en alimentation, notamment des agriculteurs, des distributeurs, des organismes communautaires et des responsables des politiques. L’une de ces initiatives est une coopérative allemande qui aide les gens à se lancer dans l’agriculture biologique en réunissant des fonds pour l’achat de terres, puis en louant ces terres pour de longues périodes à des tarifs raisonnables.

D’autres s’essaient à différents modèles d’agriculture soutenue par la communauté. À titre d’exemple, une coopérative allemande s’approvisionne chaque semaine auprès d’agriculteurs et assure la distribution des aliments. Grâce aux prix de gros et au travail des bénévoles, elle permet à un plus grand nombre de personnes d’avoir accès à des produits de qualité. Autre exemple : à la région de Calgary, des agriculteurs s’unissent pour offrir directement aux consommateurs un panier hebdomadaire plus varié que celui qu’ils pourraient produire individuellement.

La lutte contre l’insécurité alimentaire exige un effort collectif

À la lumière de ses recherches, Marit Rosol estime que la lutte contre l’insécurité alimentaire passera par trois éléments essentiels.

  • Il faut repenser l’intégralité du système de production et de distribution des aliments. Le problème ne sera pas réglé en apportant de petits changements ici et là. Il faut tenir compte non seulement des sources d’approvisionnement et des méthodes de distribution, mais aussi des modèles économiques sous-jacents.
  • Les relations entre milieu rural et milieu urbain sont primordiales. Le milieu rural et le milieu urbain sont de plus en plus coupés l’un de l’autre. Il faut trouver des moyens de les réunir et de créer des économies de l’alimentation locales plus durables dans l’intérêt aussi bien des consommateurs que des producteurs.
  • C’est un problème qui nécessite des solutions à toutes les échelles. Les actions locales sont essentielles, mais insuffisantes. Pour que ces actions soient réellement efficaces, d’autres mesures devront être prises par tous les ordres de gouvernement, et des changements de politiques seront nécessaires à l’échelle nationale et internationale dans d’autres domaines que l’alimentation, dont le logement, la rémunération et le commerce.

Même s’il n’y a pas de recette miracle pour éradiquer l’insécurité alimentaire, Marit Rosol est optimiste.

Elle observe que, de nos jours, beaucoup de gens se passionnent pour l’alimentation; les gens veulent changer les choses. Elle espère que son travail les aidera à mieux comprendre comment tout est interrelié et ce qu’il faut faire pour que les choses changent.

Pour en savoir plus

Pour en savoir plus sur les travaux antérieurs et en cours de Marit Rosol, on peut consulter son site Web (en anglais), notamment ses articles sur les économies de l’alimentation alternatives publiés dans les revues Economic Geography et Agriculture and Human Values.