Ce que la grippe espagnole nous enseigne au sujet des pandémies
Des chercheurs constatent que, pendant la pandémie de grippe espagnole, le nombre de cas a augmenté en Saskatchewan quand les gens ont commencé à se rassembler pour célébrer la fin de la Grande Guerre.
Cortège funèbre de l’étudiant en pharmacie William Hamilton, décédé à l’University of Saskatchewan pendant la pandémie de grippe espagnole. (Photo : collection de photographies A-5709, Archives et collections spéciales de l’University of Saskatchewan)
Selon des chercheurs de l’University of Saskatchewan, la province a tiré des enseignements judicieux de son passé et insiste aujourd’hui sur le maintien de la distanciation physique, tandis que les activités reprennent lentement sans que la pandémie de COVID-19 soit jugulée.
Si l’on se fie à la façon dont la grippe espagnole de 1918 s’est propagée dans la province, l’assouplissement des mesures de distanciation physique doit se faire graduellement, et la population doit prendre son temps avant de revenir à la vie « normale », affirme l’étudiant à la maîtrise en histoire Derek Cameron. Même si les restrictions sont moins sévères, nous devons continuer d’être prudents pour éviter que l’histoire ne se répète, estime-t-il.
Derek Cameron, étudiant en histoire à l’University of Saskatchewan (photo fournie par Derek Cameron)
Très agressive, la grippe espagnole se propage partout dans le monde de 1918 à 1920 alors que la Première Guerre mondiale prend fin. On estime qu’il s’agit de l’une des pandémies les plus mortelles de l’histoire de l’humanité : jusqu’à 50 millions de personnes en sont mortes, dont 5 000 en Saskatchewan. Deux facteurs ont contribué à la propagation rapide de la maladie : les soldats qui rentraient d’Europe et l’affaiblissement du système immunitaire des gens par suite des privations imposées par la guerre.
Pour Erika Dyck, professeure d’histoire à l’University of Saskatchewan, la pandémie de COVID-19 que nous vivons actuellement relègue à un passé lointain la grippe espagnole de 1918. Pour la plupart d’entre nous, pense-t-elle, connaître cet épisode se résume à un simple exercice, or le projet de Derek montre qu’il y a des enseignements importants à en tirer.
Derek Cameron a analysé les journaux et les registres de la santé publique de l’époque. Il a découvert que la grippe espagnole a frappé la Saskatchewan en deux vagues (en anglais), et que la réaction de la population lors de chacune d’elles a été cruciale.
L’étudiante métisse Nan McKay, de l’University of Saskatchewan, était infirmière bénévole pendant la pandémie de grippe espagnole. (Photo : fonds de la famille McKay, Archives et collections spéciales de l’University of Saskatchewan)
La première vague, au printemps de 1918, a été plutôt modérée. Les soldats malades ayant été en grande partie confinés à l’hôpital ou à domicile, le taux d’infection était peu élevé dans la province. Les soldats revenus d’Europe ont fort probablement été infectés alors qu’ils transitaient par le camp Exhibition, camp militaire près de Regina où il y avait un fort taux de roulement.
En octobre 1918, les autorités avaient compris la gravité de la situation et confiné la province, interdisant les rassemblements et fermant les théâtres, les écoles et les églises. Elles ont demandé aux gens de porter un masque, de rester à la maison et de se distancier des autres – les mêmes mesures qui sont prises aujourd’hui pour contrer la COVID-19.
Mais quand la guerre a pris fin, en novembre, les citoyens ont décidé qu’ils voulaient célébrer. Ils sont sortis et se sont rassemblés, formant des groupes importants et faisant fi des recommandations des autorités. Les gens pratiquant moins la distanciation physique, le nombre de cas a augmenté rapidement, et la seconde vague a été beaucoup plus grave. En fait, dit Derek Cameron, on a dénombré 2 000 décès après les célébrations.
Bon nombre de vaccinations de routine contre d’autres maladies n’ont pas été effectuées à cause de la grippe espagnole. Derek Cameron a constaté qu’en 1920, des flambées de variole et de fièvre typhoïde se sont produites au Canada pour cette raison.
Au cœur de la pandémie de COVID-19, les vaccins manqués sont une source de préoccupation. L’Organisation mondiale de la santé vient de signaler que 117 millions d’enfants dans le monde pourraient ne pas recevoir le vaccin contre la rougeole. La Dre Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada, a elle aussi souligné l’importance de vaccinations à jour.
Maintenant que l’on s’apprête à rouvrir l’économie, il faut que les gouvernements fédéral et provinciaux préparent un plan pour que les enfants puissent recevoir leurs vaccinations de routine en dépit de la COVID-19, estime M. Cameron.
Derek Cameron, dont les travaux sont financés par le Conseil de recherches en sciences humaines, débutera ses études de doctorat à l’University of Saskatchewan à l’automne, et il mènera des recherches sur l’histoire du mouvement antivaccination et des magazines de médecines alternatives.
Cet article a été rédigé par Federica Giannelli, doctorante et stagiaire en communication à l’University of Saskatchewan. Il fait partie du dossier 2020 Young Innovators series préparé par l’USask Research Profile and Impact Unit, en partenariat avec le quotidien Saskatoon StarPhoenix.