Un documentaire primé d’une professeure de la Dalhousie University présente un autre aspect de la crise des réfugiés

Les photos de Raluca Bejan ont été exposées au Centre d’art de l’Université du Nouveau-Brunswick dans le cadre de l’exposition TRACE. (photos fournies)

Imaginez-vous vous réveiller un beau matin et voir la photo d’un membre de votre famille souffrant ou mort sur la page d’accueil de tous les sites de nouvelles du monde. Imaginez que la lutte de votre famille pour une vie meilleure soit diffusée sur un ensemble de plateformes et que tous en soient ainsi témoins.

Voilà la dure réalité à laquelle ont dû faire face certaines des nombreuses personnes coincées dans la crise des réfugiés de 2015 en Europe. Plus d’un million de personnes sont arrivées sur le continent cette année-là, bien souvent à bord de petites embarcations bondées, et ont été dirigées vers des camps de réfugiés surpeuplés. D’autres, dont des enfants, ne se sont pas rendues à destination et ont péri sur les rives de la Méditerranée.

Avec la médiatisation croissante de la crise, le monde entier est devenu à la fois témoin et spectateur à distance de cette souffrance.

Un nouveau projet multimédia de la professeure Raluca Bejan (ci-contre), de la faculté de travail social de la Dalhousie University, en collaboration avec l’artiste en arts médiatiques et designer graphique Ioan Cocan, vise à changer la perception « zoologique » que le grand public a de la crise, qui découle de la marchandisation de la souffrance des migrants, et à mettre plutôt l’accent sur certaines des questions sociétales plus larges qui la sous-tendent.

La crise des réfugiés est un problème d’ordre structurel, selon Raluca Bejan, professeure adjointe à la Dalhousie University depuis janvier. Cette crise, estime-t-elle, est causée par les guerres et les inégalités entre pays du Nord et pays du Sud.

La professeure Bejan a pu observer la crise de près lorsqu’elle s’est rendue sur l’île grecque de Lesbos pour une conférence au cours de l’été 2016. Pendant son séjour, elle a visité l’un des plus grands camps de réfugiés établis pour gérer l’afflux de migrants. Cette expérience l’a incitée à montrer un autre aspect de la crise. Elle y est donc retournée l’année suivante pour photographier différents endroits touchés par la crise et mener des recherches et faire des entrevues avec les migrants et les habitants de l’île.

Examen des lieux

En résulte TRACE : Tracing the Space of the Refugee Crisis (tracer les contours de la crise des réfugiés), une exposition conjointe du Centre d’art de l’Université du Nouveau-Brunswick et de la Beaverbrook Art Gallery de Fredericton, qui présente le documentaire primé de Raluca Bejan et Ioan Cocan, ainsi que 14 tirages photographiques de grand format.

Les photos et le film, qui est également projeté ce mois-ci à l’University of Cambridge, au Royaume-Uni, ainsi que dans le cadre de Cinema Politica à Fredericton, saisissent le contraste entre la vie ordinaire de tous les jours dans les îles grecques et les événements traumatisants qui se produisent à proximité. Les images montrent tout : des piles de gilets de sauvetage décolorés et des vêtements qui sèchent sur une clôture à mailles losangées à une oliveraie baignée de soleil.

C’est ce qui se passe actuellement en Grèce, dit Raluca Bejan. Ces deux réalités cohabitent.

Dans beaucoup d’images, il n’y a personne, et dans celles où il y a des gens, on évite délibérément de montrer des visages. Il s’agissait d’un effort très conscient d’insister sur l’espace comme métaphore d’un problème structurel.

Création de liens entre différents modes de connaissance

Le film aborde des thèmes similaires, mais repose sur des entrevues réalisées avec des réfugiés, des habitants de l’île et des spécialistes – en respectant les conditions qu’ils ont imposées – pour dire ce qui se passe.

Les spectateurs font ainsi la connaissance d’Anward Nilfuri, un réfugié iranien venu en Grèce en passant par l’Irak, puis en traversant en canot pneumatique depuis la Turquie. Il s’est retrouvé à Athènes, où il a campé devant le bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés dans le but de protester contre l’impossibilité de quitter le pays.

Lorsque la professeure Bejan l’a rencontré en 2017, il faisait une grève de la faim de deux mois. C’est le principal problème des réfugiés qui se trouvent actuellement en Grèce, dit-elle. Ils ne veulent pas y rester. Après la crise économique, le taux de chômage des jeunes en Grèce est demeuré très élevé, et ils ne peuvent pas trouver d’emploi. Beaucoup d’entre eux veulent aller en Europe du Nord ou de l’Ouest, mais ils demeurent coincés en Grèce.

Le film, qui est distribué grâce à une subvention Connexion du CRSH, met également en scène Philippa Campson, une Britannique qui possède une maison dans le nord de l’île et qui a commencé à aider les migrants et les réfugiés lorsqu’ils se sont mis à débarquer à deux pas de chez elle en 2015. On fait aussi la connaissance d’un interprète farsi qui a travaillé avec des ONG dans les environs, d’une avocate qui se consacre aux demandes d’asile et d’une spécialiste des questions ayant trait à la migration.

La professeure Bejan affirme qu’elle n’avait pas l’intention de faire un film lorsqu’elle a entrepris ce projet de recherche. Ce n’est que plus tard, une fois en Grèce, qu’elle a vu le potentiel qu’il y avait d’en tirer un documentaire plutôt qu’un livre.

Elle dit avoir toujours tenté de voir comment différents modes de connaissance peuvent être reliés pour aborder certains sujets. Afin de faire face aux énormes enjeux auxquels la société se heurte, parmi lesquels ceux qui sont reliés aux réfugiés et aux changements climatiques, ce genre d’approche plus large est nécessaire.

Cette histoire a été rédigée par Matt Reeder. Elle a été publiée pour la première fois dans le Dal News, le 10 février 2020.