Une promenade audio avec des survivants qui ont élu domicile à Montréal

Le survivant hongrois Ted Bolgar (à droite) parle pendant que Tommy Strasser, Fishel Goldig et Sidney Zoltak (de gauche à droite) écoutent, lors du lancement du projet Boulevard des Réfugiés à Montréal le 15 septembre. (photo : Janice Arnold)

Il y a 70 ans, le Jewish Immigrant Aid Society Record publiait un article au titre audacieux : Refugee Boulevard (Boulevard des Réfugiés) sur une foule de jeunes qui se rassemblait les dimanches sur l’avenue de l’Esplanade à Montréal avant de se déplacer vers le Fletcher’s Field (devenu le parc Jeanne‑Mance).

Ces jeunes n’avaient rien à voir avec les joueurs de tam-tam d’aujourd’hui. Ils étaient de nouveaux arrivants bien habillés et ordonnés qui se liaient d’amitié avec d’autres personnes ayant survécu à l’Holocauste dans leur enfance ou leur adolescence. Ils rebâtissaient leur vie à Montréal dans les quartiers désormais connus sous les noms de Plateau et Mile-End.

Aujourd’hui octogénaires et nonagénaires, certains invitent le public à revivre leurs souvenirs.

Boulevard des Réfugiés : être chez soi à Montréal après l’Holocauste est un projet collaboratif du Collège Dawson, de l’Université Saint-Paul d’Ottawa et du Musée de l’Holocauste Montréal, et financé principalement par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Au cœur de ce projet, une promenade audio, téléchargeable gratuitement, pendant laquelle sept survivants se remémorent leurs lieux favoris. La majorité d’entre eux sont arrivés en 1948 à l’occasion du Projet des orphelins de guerre et ont dû se débrouiller seuls.

De 1947 à 1952, ce sont 352 filles et 764 garçons qui sont arrivés au Canada. Beaucoup d’entre eux sont venus avec de la parenté ou dans le cadre de programmes de travail.

La promenade commence au parc Jeanne‑Mance, à la fontaine Rubenstein située à l’angle des avenues du Mont‑Royal et du Parc. Parmi les points d’intérêt personnels qui ont aujourd’hui des vocations différentes, le dispensaire Herzl sur la rue Jeanne‑Mance, l’Association hébraïque des jeunes hommes sur l’avenue Mont‑Royal, la Bibliothèque publique juive et les Services d’aide aux immigrants juifs du Canada sur l’avenue de l’Esplanade et le magasin de vêtements Schreter’s sur le boulevard Saint‑Laurent.

D’une durée d’environ une heure, la promenade se termine au Musée du Montréal juif, à l’intersection du boulevard Saint‑Laurent et de l’avenue Duluth.

Monsieur Fishel Goldig est le narrateur de la promenade; il est accompagné de Ted Bolgar, Paul Herczeg, Tommy Strasser, George Reinitz, Musia Schwartz et Renata Skotkicka‑Zajdman, qui est maintenant décédée. Ils ont tous été actifs au sein de l’Association hébraïque des jeunes hommes pendant de nombreuses années, où ils racontaient leur histoire à des étudiants.

Le projet Boulevard des Réfugiés comprend également un site Web (refugeeboulevard.ca/fr) qui propose de l’information additionnelle sur les conteurs et d’autres, dont Muguette Myers et Sidney Zoltak, qui apparaissent dans des entrevues vidéo.

Les survivants ont également fourni des photos personnelles sur lesquelles ils affichent beaucoup de bonheur et de confiance, malgré les ajustements souvent difficiles, mais nécessaires, après la guerre.

L’enregistrement audio et la transcription de la promenade se trouvent sur le site Web, ainsi qu’un livret d’accompagnement qui procure un contexte historique.

Un des thèmes abordés est le rôle crucial joué par les institutions de la communauté juive dans l’intégration des réfugiés, notamment l’Association hébraïque des jeunes hommes, les Services d’aide aux immigrants juifs du Canada, le Congrès juif canadien et la Bibliothèque publique juive, où beaucoup ont appris l’anglais et le mode de vie canadien.

Les jeunes survivants s’appuyaient également sur leurs propres réseaux. Les clubs formés selon leur pays d’origine les ont aidés à trouver des emplois et des partenaires de vie. Les nombreuses amitiés qu’ils ont nouées perdurent souvent encore aujourd’hui.

Le lancement de Boulevard des Réfugiés, le 15 septembre 2019, a eu lieu dans l’ancien immeuble de la Bibliothèque publique juive, qui évoque de bons souvenirs aux participants.

À lire : Painting’s restitution comes with conditions (en anglais seulement)

Quatre chercheurs ont travaillé pendant près d’un an afin de mener à bien ce projet qui, en plus de faire connaître ces histoires à des auditoires nouveaux et élargis, devrait favoriser une conversation sur le processus de réinstallation des immigrants et des réfugiés.

Les principaux membres de l’équipe sont Stacey Zembrzycki et Nancy Rebelo, qui enseignent au département d’histoire du Collège Dawson, Anna Sheftel, professeure agrégée d’études des conflits à l’Université Saint‑Paul, et Eszter Andor, coordonnatrice des commémorations et de l’histoire orale du Musée de l’Holocauste Montréal. Elles sont toutes bien au fait de l’histoire orale des différentes communautés ethniques.

Madame Zembrzycki travaille avec les survivants de l’Holocauste depuis 2008 et a été « chaperonne survivante » à la Marche des vivants de 2011. Elle est l’autrice d’According to Baba, une histoire orale de la communauté ukrainienne de Sudbury, en Ontario.

Selon elle, il ne s’agit pas tant de savoir comment ils ont survécu, mais plutôt de se rappeler les luttes et la résilience qui ont suivi, leur dur labeur et la façon dont ils se sont fait des amis et ont trouvé une communauté dans ce quartier.

Les participants sont reconnaissants de l’aide reçue et sont fiers de ce qu’ils ont fait de leur vie, mais certains ressentent encore la douleur associée au rejet subi de la part de nombreux membres de la communauté juive.

Messieur Zoltak et Goldig, deux amis originaires de Pologne, sont venus ici avec leurs parents. « Nous n’étions pas très populaires, a déclaré M. Zoltak. Ils nous traitaient de blancs-becs et d’autres noms. » Mon ami était un excellent danseur, mais les filles de la communauté juive ne voulaient pas danser avec lui. Il a dû se rendre dans une salle de danse du centre-ville, où il était un partenaire de danse très convoité.

Selon M. Goldig, la communauté juive ne voulait pas savoir ce qui leur était arrivé, elle ne voulait pas entendre leurs histoires. « J’ai fréquenté une yeshiva pendant quatre ans et personne ne m’a jamais demandé comment j’avais survécu. Dans le vestiaire de l’Association hébraïque des jeunes hommes, les autres enfants ne voulaient pas s’approcher de nous. C’était très difficile pour nous tous. »

Cet article a été rédigé par Janice Arnold et a d’abord été publié dans le Canadian Jewish News, le 16 septembre 2019. Il se fonde sur des travaux de recherche financés par le CRSH et menés par Nancy Rebelo et Stacey Zembrzycki, du Dawson College, et par Anna Sheftel, de l’Université Saint‑Paul.