Les auteurs d’un rapport majeur sur les jeunes sans-abri recommandent des politiques judicieuses

 

Le Rond-point de l’itinérance, l’antenne de recherche de l’Observatoire canadien sur l’itinérance (OCI) à l’Université York, est passé maître dans l’art de mobiliser les connaissances. Il mène des recherches novatrices qui orientent les politiques et donnent lieu à des changements notables. Le Rond-point de l’itinérance a lancé il y a peu le rapport Child Welfare and Youth Homelessness in Canada: A Proposal for Action (2017), publié par COH Press en partenariat avec l’organisme Vers un chez-soi Canada et financé par le projet Porte orange de la Fondation Home Depot Canada.

Au moyen de données récentes recueillies dans le cadre du sondage Sans domicile, un sondage national sur l’itinérance chez les jeunes, mené en 2016, les chercheurs, sous la direction du directeur de l’OCI et du Rond-point de l’itinérance, le professeur Stephen Gaetz de la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université York, ont jeté un nouvel éclairage sur cette réalité préoccupante. Le sondage, qui a porté sur les expériences vécues par 1 103 jeunes sans-abri de 42 collectivités situées dans neuf provinces et au Nunavut, brosse le premier portrait à l’échelle nationale des jeunes sans-abri. Par son ampleur, ce sondage a permis aux chercheurs de recueillir de l’information qui manquait jusque-là, de présenter certains faits troublants et de formuler des recommandations judicieuses en matière de politiques.

Le rapport peint un tableau saisissant des jeunes sans-abri et met en évidence le lien qui existe entre la fin de la prise en charge par les services de protection de l’enfance et l’itinérance, en s’attardant à la transition des jeunes une fois qu’ils ne reçoivent plus de services. En effet, 30 p. 100 des jeunes interrogés estiment que cette transition a eu des répercussions qui les ont menés directement à l’itinérance, et 57 p. 100 des jeunes qui n’étaient plus pris en charge en raison de leur âge auraient aimé avoir accès à un soutien continu, si pareil soutien avait été offert.

Selon M. Gaetz, la législation sur la protection de l’enfance et les pratiques en la matière ne suivent pas le rythme des changements qui s’opèrent à l’heure actuelle dans les sphères sociale et économique et qui font en sorte qu’il est beaucoup plus difficile qu’avant pour les adolescents et les jeunes adultes dans la vingtaine de vivre de façon autonome.

M. Gaetz consacre sa vie à cette cause. En 2016, il a été nommé membre de l’Ordre du Canada pour son leadership dans la recherche fondée sur des éléments probants destinée aux décideurs et aux praticiens du mouvement visant à prévenir et à réduire l’itinérance au Canada.

Il existe peu d’organismes qui soient mieux outillés que l’Observatoire canadien sur l’itinérance et le Rond-point de l’itinérance pour suggérer des politiques à ce sujet. Une conviction fondamentale guide leur action, à savoir que la recherche peut contribuer à la mise au point de solutions pour mettre fin à l’itinérance et doit le faire. Le Rond-point de l’itinérance a été créé en 2007 pour répondre à un besoin : réunir en un seul et même endroit des données pancanadiennes sur l’itinérance. Une décennie plus tard, le Rond-point est devenu une ressource indispensable où les fournisseurs de services, les chercheurs, les représentants des gouvernements, les étudiants et le grand public peuvent consulter et mettre en commun des recherches, des histoires vécues et de bonnes pratiques.

Les jeunes sans-abri sont 193 fois plus susceptibles que toute autre personne dans la population d’avoir déjà été pris en charge par les services de protection de l’enfance.

Le nouveau portrait de la vulnérabilité qu’esquisse le rapport

Outre ce qui porte sur la transition quand cessent les services, le rapport Child Welfare and Youth Homelessness in Canada présente certaines données troublantes relativement à la vulnérabilité des jeunes sans-abri :

  • 57 p. 100 des jeunes sans-abri ont déjà été pris en charge par les services de protection de l’enfance (les jeunes sans-abri sont 193 fois plus susceptibles que toute autre personne dans la population d’avoir déjà été pris en charge par les services de protection de l’enfance);
  • 63 p. 100 des jeunes sans-abri ont subi des traumatismes ou ont été victimes de mauvais traitements ou de négligence durant leur enfance;
  • les jeunes Autochtones représentent 7 p. 100 de tous les jeunes Canadiens, mais ils constituent 50 p. 100 des jeunes pris en charge par les services de protection de l’enfance;
  • les jeunes qui vivent dans la pauvreté, ceux qui sont victimes de racisme et ceux qui sont victimes d’homophobie sont plus susceptibles que les autres jeunes d’être pris en charge par les services de protection de l’enfance et aussi de vivre en situation d’itinérance (les jeunes LGBTAQB, transgenres et de genre non binaire sont plus susceptibles que leurs homologues cisgenres et hétérosexuels d’avoir déjà eu affaire aux services de protection de l’enfance).

Les quatre grandes préoccupations selon le rapport

Des lacunes systémiques entraînent les interventions des services de protection de l’enfance et mènent les jeunes à l’itinérance, selon le rapport, qui cerne quatre grandes préoccupations :

  1. changements fréquents de logement, notamment le retrait de jeunes enfants de leur domicile familial et leur placement en foyer d’accueil;
  2. lien entre l’itinérance et la difficile transition des jeunes une fois qu’ils n’ont plus accès aux services de protection de l’enfance (en raison de leur âge notamment). Il existe également une corrélation entre cette transition et la pauvreté, les échecs scolaires, les taux relativement élevés de chômage et le séjour en établissement de détention;
  3. jeunes qui deviennent itinérants à un très jeune âge, en particulier avant l’âge de 16 ans. Ces jeunes sont plus susceptibles que les autres jeunes d’avoir déjà été pris en charge par les services de protection de l’enfance, ce qui semble indiquer que la prévention de l’itinérance chez les jeunes pris en charge devrait être une priorité;
  4. iniquité et marginalisation (racisme, homophobie et transphobie, entre autres) : ces facteurs contribuent à la surreprésentation des enfants et des familles de certaines races et certaines ethnies.

Recommandations à l’intention de tous les ordres de gouvernement

Les auteurs du rapport formulent des recommandations à l’intention des gouvernements fédéral, des provinces et des territoires, des services de protection de l’enfance et des travailleurs sociaux. « Tous ces intervenants doivent envisager les politiques, programmes, interventions et investissements mentionnés dans le rapport qui peuvent contribuer à la réussite de la transition des jeunes », affirme M. Gaetz.

Le fait que les jeunes ne soient plus pris en charge en raison de leur âge est lié à l’itinérance et mis en corrélation avec la pauvreté, les échecs scolaires, les taux relativement élevés de chômage et les séjours en établissement de détention.

Les recommandations à l’intention du gouvernement fédéral comprennent la modification de sa stratégie de lutte contre l’itinérance afin que la prévention devienne une grande priorité. Les recommandations à l’intention des provinces visent à faire en sorte que les jeunes soient assurés de recevoir du soutien jusqu’à l’âge de 25 ans une fois qu’ils ne sont plus pris en charge, et elles comprennent l’établissement d’une stratégie ciblée de soutien aux Autochtones, LGBTAQB, transgenres, jeunes de genre non binaire et jeunes issus de groupes raciaux.

Les auteurs du rapport recommandent aux services de protection de l’enfance :

  • d’offrir à tous les jeunes qui sont en transition des options de logement et les mesures de soutien nécessaires pour réussir leur transition à l’âge adulte en sécurité et de façon planifiée;
  • d’aider les jeunes à obtenir le soutien dont ils ont besoin en matière de santé mentale et de lutte contre la toxicomanie et d’instaurer une politique et des pratiques en vue du renforcement de la résilience chez les jeunes pris en charge, sachant que cela les aidera à réussir leur transition;
  • de donner aux jeunes pris en charge un moyen de fournir de la rétroaction et d’utiliser un outil d’évaluation pour déterminer le risque qu’ils deviennent itinérants ou qu’ils fuguent;
  • d’offrir une formation supplémentaire aux travailleurs sociaux afin qu’ils puissent répondre aux besoins des adolescents et des jeunes adultes et de s’assurer que la charge de travail des travailleurs sociaux est appropriée.

Cet investissement proactif dans la jeunesse donnera des résultats, selon M. Gaetz. « Chaque dollar investi dans l’établissement de bonnes pratiques et d’interventions précoces se traduit par des économies de 5,60 $ », explique-t-il.


Cet article a été rédigé par Megan Mueller, gestionnaire, communications sur la recherche, au Bureau du vice-recteur à la recherche et à l’innovation de l’Université York et publié en anglais le 14 décembre 2017 dans le site Web de l’université. Le CRSH soutient les activités de recherche qui y sont décrites.