Le Canada en tant qu’économie apprenante : éducation et formation à l’ère des machines intelligentes – défis et changements aux politiques
Le projet
Cette synthèse des connaissances fait partie d’un programme de recherche en cours à l’Innovation Policy Lab (IPL) de la Munk School of Global Affairs and Public Policy, qui vise à mieux comprendre l’innovation en tant que produit de l’économie apprenante. Contrairement aux modèles économiques classiques, cette perspective considère le savoir comme un processus dynamique de construction et de déconstruction, et non comme un élément figé dans le temps. Elle donne une autre approche des politiques, axée sur l’humain et dont le but est de renforcer la capacité d’innovation.
Puisque les technologies de l’information et des communications (TIC) accélèrent le rythme de construction et de déconstruction des connaissances, le rythme du changement revêt une importance capitale. La dynamique qui facilite l’accès à l’information rend également les connaissances, les habiletés et les compétences obsolètes plus rapidement. Pour les entreprises, cela se traduit par des cycles de vie plus courts pour les produits et par une concurrence accrue; pour les travailleuses et travailleurs, il en résulte un besoin constant de renouveler leurs compétences afin de conserver leur employabilité; enfin, pour les responsables des politiques, cela donne lieu à un besoin de créer et de promouvoir des ressources de soutien à l’apprentissage.
Le projet avait pour but de corroborer les données internationales laissant entendre que l’organisation du travail et les possibilités d’apprentissage en cours d’emploi sont des facteurs qui influencent le rendement national sur le plan de l’innovation. Il remet en question l’hypothèse selon laquelle les politiques en matière d’innovation axées exclusivement sur la recherche et le développement sont suffisantes pour stimuler la prospérité à long terme.
Le rapport ayant émané du projet a été présenté le 4 juin 2021 à la conférence annuelle de l’Industry Studies Association (ISA) au Massachusetts Institute of Technology (MIT). On le trouve également sous forme de document de travail dans le site de l’IPL.
Les principales constatations
Les recherches internationales mettent en évidence le lien entre, d’une part, des pratiques de travail à rendement élevé qui fournissent des possibilités d’acquérir et de perfectionner des compétences et, d’autre part, la capacité d’innovation. Les recherches laissent croire que l’apprentissage a une grande influence sur le rendement des économies axées sur le savoir (Holm et coll., 2021; Nielsen et coll., 2021; Gjerding et coll., 2020; Lorenz et Lundvall, 2006; Lundvall et Johnson, 1994). Les modèles d’apprentissage, la production de connaissances et l’organisation du travail déterminent la capacité d’innovation, qui entraîne à la longue un avantage comparatif dans différents secteurs industriels caractérisant habituellement les économies nationales. Les façons dont chaque entreprise produit et utilise les connaissances pour créer de la valeur déterminent son modèle d’innovation, qui variera donc d’une entreprise à l’autre, et en influencent le rythme (rapide ou lent) et le style (progressif ou radical).
Vu l’expansion continue de l’intelligence artificielle et de la robotique, l’économie apprenanteexpose la nécessité d’une réforme des systèmes d’éducation pour favoriser l’apprentissage continu. Tant le secteur privé que le secteur public doivent se pencher sur les moyens employés par les institutions, comme les écoles, les universités et les instituts de recherche, pour façonner les modèles d’apprentissage et d’innovation. Dans ce contexte, une gestion stratégique des ressources humaines et des formes informelles d’apprentissage en cours d’emploi s’imposent.
Dans les économies avancées, la main-d’œuvre a bien changé ces trente dernières années. La majoration de salaire tant appréciée durant l’ère industrielle des travailleuses et travailleurs n’ayant pas mené d’études postsecondaires a diminué, tandis que les travailleuses et travailleurs hautement qualifiés sont de plus en plus présents sur le marché du travail. Au Canada, l’accès inégal à l’éducation des adultes et aux ressources d’apprentissage peut nuire aux efforts de développement d’une main-d’œuvre hautement qualifiée, flexible et inclusive.
L’histoire controversée des politiques du marché du travail et de l’acquisition de compétences au Canada est le reflet d’incompatibilités institutionnelles et de gouvernance de longue date. Elle contraste fortement avec l’importance grandissante accordée dans les écrits sur l’innovation au lien entre les processus d’apprentissage et le rendement en matière d’innovation.
Au moyen d’une approche géographique de l’étude du risque que fait peser l’automatisation sur les marchés du travail à l’échelle locale, le projet a démontré que le faible rendement du Canada sur le plan de l’innovation est partiellement causé par le manque d’investissement dans le capital humain, qui se traduit par un nombre considérable d’occasions manquées.
Ce que cela suppose pour les politiques
Les données présentées donnent à penser que les responsables des politiques au Canada doivent voir au-delà des pays pionniers des technologies, en particulier les États-Unis, et s’inspirer plutôt de pays à revenu moyen comme le Danemark. Pour adopter une approche progressive plutôt que radicale de l’innovation, le Canada devra réorienter ses politiques vers autre chose que l’axe recherche et développement.
Afin de faciliter le virage numérique et de réduire les risques que l’automatisation comporte pour bon nombre de Canadiennes et Canadiens, il faut accorder davantage la priorité aux politiques du marché du travail. Les responsables des politiques doivent avoir une vision à long terme de la croissance économique et une conception élargie de l’innovation pour y intégrer les compétences et l’apprentissage humains.
Les réformes du marché du travail devraient tenir compte de la demande sur les marchés locaux et des besoins des employeurs. Elles devraient également prêter une attention particulière au comportement des entreprises en mettant au point des incitatifs pouvant équilibrer les besoins tant privés que sociaux. Par ailleurs, les entreprises doivent voir la capacité d’apprentissage et de perfectionnement comme étant essentielle à l’avantage concurrentiel.
Une gouvernance plus collaborative sera également nécessaire, puisque ni le gouvernement fédéral ni les gouvernements provinciaux ne peuvent résoudre seuls les problèmes occasionnés par la restructuration numérique de l’économie. Sans occasions de perfectionner leurs compétences ou d’en acquérir de nouvelles durant leur carrière, plusieurs travailleuses et travailleurs seront laissés pour compte, ce qui aura de lourdes conséquences sur la compétitivité économique et la cohésion sociale du pays.
Complément d’information
Rapport intégral (en anglais)
Coordonnées des chercheurs
David A. Wolfe, codirecteur, Innovation Policy Lab, Munk School of Global Affairs and Public Policy, University of Toronto david.wolfe@utoronto.ca
Tracey M. White,doctorante et assistante de recherche de David Wolfe, Innovation Policy Lab, Munk School of Global Affairs and Public Policy, University of Toronto tracey.white@utoronto.ca
Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des auteurs; elles ne sont pas celles du CRSH, du Centre des Compétences futures ni du gouvernement du Canada.
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