Technologies numériques et révolution des données massives dans le secteur de l’agriculture au Canada : possibilités, défis et solutions de rechange

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Le projet

La production primaire en agriculture se modifie rapidement en raison de l’essor considérable des technologies numériques « intelligentes ». L’exploitation agricole intelligente se fonde sur l’utilisation de dispositifs de télédétection dans le matériel agricole (tracteurs, planteuses, pulvérisateurs et moissonneuses-batteuses) pour la culture des céréales et des graines oléagineuses et dans les trayeuses mécaniques et les étiquettes d’oreille pour la production laitière, bovine, porcine et aviaire.

Les dispositifs intelligents insérés dans le matériel et l’outillage agricoles fournissent un vaste éventail de petites données. En elles-mêmes, les petites données ont une certaine valeur, mais c’est la création de données massives qui fait leur vraie valeur. Les données massives sont créées quand un fournisseur de technologies agricoles associe les données de bon nombre d’agricultrices et agriculteurs avec des données d’autres sources (les données météorologiques par exemple). Ces données peuvent ensuite être analysées au moyen d’algorithmes propriétaires qui fournissent des recommandations – sur les semences, les engrais et les combinaisons chimiques à utiliser sur différentes parcelles de terre – pour l’amélioration des rendements, la protection de l’environnement et (ou) la rentabilité.

Si l’agrégation des données apporte de la valeur, elle crée également un ensemble de problèmes (dont des préoccupations en ce qui concerne la protection de la vie privée, la sécurité, la propriété des données, la concurrence et le pouvoir de marché ainsi que la transformation du travail) qui, réunis, font que les agricultrices et agriculteurs ne font pas confiance aux technologies.

L’équipe a passé en revue les écrits pour savoir comment réagissent, au Canada et ailleurs, les agricultrices et agriculteurs, les entreprises du secteur agro-alimentaire, les organismes agricoles et les gouvernements face à l’émergence des données massives. Elle en a dégagé des recommandations sur les mesures que devraient prendre les acteurs du domaine de l’agriculture au Canada.

Les principales constatations

L’essor des données massives en agriculture a été très rapide et constitue l’assise des plans stratégiques des plus grands fabricants mondiaux de matériel agricole (dont John Deere), des plus grandes entreprises productrices de semences et de produits chimiques (dont Bayer et Syngenta) et des plus grandes firmes de technologies de l’information (Amazon et Google notamment).

Les agricultrices et agriculteurs ont peu confiance dans les technologies. Elles et ils croient que les technologies peuvent accroître l’efficacité, faire diminuer les coûts, augmenter les rendements et améliorer la gestion et la prise de décision, mais le fait de communiquer des données les rend mal à l’aise. Elles et ils ont des inquiétudes au sujet de la sécurité des données et se demandent si leurs données peuvent être utilisées sans qu’elles et ils le sachent. Elles et ils s’inquiètent de l’absence de concurrence entre les fournisseurs de technologies agricoles et se demandent si les données massives vont modifier fondamentalement la nature du travail sur la ferme. Pour apaiser ces inquiétudes et inspirer confiance dans les données massives, les fournisseurs, de concert avec les organismes agricoles et, dans certains cas, le gouvernement, ont créé des codes volontaires de bonnes pratiques pour l’utilisation et la mise en commun des données relatives à l’agriculture.

De tels codes volontaires ont été adoptés aux États-Unis, en Australie, en Nouvelle-Zélande et par l’Union européenne mais pas au Canada.

L’Union européenne a adopté des droits en matière de portabilité des données pour remédier aux inquiétudes ayant trait aussi bien à la protection de la vie privée qu’à la concurrence. Ces droits s’appliquent aux consommatrices et consommateurs mais pas aux agricultrices et agriculteurs dans leur rôle de propriétaires d’exploitation agricole.

Des mesures sont prises au Canada en faveur de la portabilité des données, qui est au cœur de la Loi de 2020 sur la mise en œuvre de la Charte du numérique (projet de loi C-11). Ce projet de loi n’est pas encore adopté; s’il l’est, il ne s’appliquera pas aux agricultrices et agriculteurs considérés propriétaires d’entreprise. Bien que l’on affirme que la portabilité des données augmentera la concurrence, les aspects économiques des données massives en agriculture (importants coûts irrécupérables, nécessité de disposer d’un grand groupe de fournisseurs de données dispersés géographiquement) laissent supposer qu’il est peu probable que cela se produise.

Outre la portabilité des données, l’interopérabilité des données (capacité d’avoir accès aux caractéristiques d’un service à partir d’un autre) fait l’objet de débats. Cette façon d’augmenter la concurrence ne fait pas partie des politiques envisagées.

La création de coopératives de données est une solution de rechange (possiblement complémentaire) aux codes volontaires et à la portabilité des données. Les coopératives existent depuis longtemps en agriculture, depuis la fin du 19e siècle en fait. Une bonne raison de les créer a trait à leur capacité d’accroître la concurrence dans les marchés des intrants et extrants agricoles et d’augmenter la confiance des agricultrices et agriculteurs dans le système. Il existe quelques coopératives de données agricoles, mais on s’est très peu intéressé à cette solution pour remédier aux inquiétudes et aux problèmes que suscitent les données massives.

Ce que cela suppose pour les politiques

Les grands acteurs de l’agriculture au Canada devraient élaborer un code volontaire de bonnes pratiques pour l’utilisation et le partage des données agricoles.

Un code volontaire ne réglera pas les problèmes de concurrence et de confiance, mais c’est un premier pas nécessaire.

Le droit à la portabilité des données, même s’il était appliqué aux agricultrices et agriculteurs dans leur rôle de propriétaires d’entreprise, ne serait pas suffisant pour remédier à leurs préoccupations en matière de concurrence. Il faut d’autres mécanismes pour résoudre cette question.

Il y a lieu d’examiner de plus près ce que les coopératives pourraient faire pour accroître la concurrence et inspirer confiance dans les données massives en agriculture. La création de coopératives de données agricoles nécessitera la participation d’un vaste éventail d’acteurs, parmi lesquels des chercheures et chercheurs, des conceptrices et concepteurs de coopératives, des chefs de file du monde agricole, des entreprises et organismes agricoles existants et des responsables des politiques fédéraux et provinciaux.

Les gouvernements doivent participer de façon équilibrée à la création des coopératives. Ils ne doivent pas être indifférents ni hostiles, mais ils ne doivent pas non plus chercher à exercer un contrôle excessif.

Les tenants des coopératives devront être au fait des questions technologiques ayant trait aux données massives en agriculture, et ils devront être attentifs à un contexte législatif et social dans lequel les questions de souveraineté des données, de sécurité et de vie privée évoluent rapidement.

Complément d’information

Rapport intégral (en anglais)

Coordonnées des chercheurs

Murray Fulton, professeur, Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy, University of Saskatchewan  murray.fulton@usask.ca

Marc-André Pigeon, professeur adjoint et directeur, Canadian Centre for the Study of Co-operatives, Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy, University of Saskatchewan  marc-andre.pigeon@usask.ca

Yang Yang, professeure adjointe, Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy, University of Saskatchewan  yang.yang@usask.ca

Bill Oemichen, doctorant, Johnson Shoyama Graduate School of Public Policy, University of Saskatchewan  bill.oemichen@usask.ca

Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des auteurs et ne sont pas nécessairement celles du CRSH, du Centre des compétences futures ni du gouvernement du Canada.

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