Une étude de la portée des pratiques d’intervention antiraciste et décoloniale sur la précarité des femmes racisées et (ou) migrantes ou autochtones

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Le projet

Notre projet avait pour but d’examiner, selon une analyse interprétative critique, dans quelle mesure la littérature émergente (en anglais, en français et en espagnol) portant sur les pratiques d’intervention psychosociale ou pouvant induire des recommandations pour l’intervention traite de la précarité des femmes – et toutes personnes se considérant comme femmes – racisées et/ou migrantes ou autochtones en ayant recours à des approches antiracistes et décoloniales et en en montrant l’opérationnalisation sur le terrain. La précarité touche particulièrement les femmes, notamment dans l’intersection des oppressions et des facteurs d’inégalité sociale. Or, l’intervention psychosociale, comme première ligne, permet de constater les besoins de cette population et le fait que les approches antiracistes et décoloniales semblent tarder à faire partie des méthodes utilisées sur le terrain.

Nous avons donc effectué une étude de la portée des pratiques dans trois langues, à savoir l’espagnol, le français et l’anglais, sur une période de dix ans (entre 2013 et 2023) et concernant les quatre disciplines d’intervention que sont le travail social, la criminologie, la psychologie et l’éducation/la psychoéducation. Pour l’espagnol, nous avons ajouté aux critères la sociologie et l’anthropologie, qui représentent davantage les disciplines susceptibles de répondre à notre question de recherche étant donné que, dans certains pays hispanophones, la criminologie et la psychoéducation ne sont pas considérées comme des disciplines, mais plutôt comme des spécialités.

Principales conclusions

  • Contrairement à la littérature hispanophone, les littératures anglophone et francophone des dix dernières années traitent peu de la précarité des femmes autochtones, migrantes ou racisées selon des approches décoloniales et antiracistes en en montrant l’opérationnalisation sur le terrain.
  • D’un point de vue tout à fait pragmatique, nous constatons que les mots clés choisis (précarité, par exemple) figurent surtout dans les littératures anglophone et francophone, et moins dans la littérature hispanophone, qui préfère employer des termes comme pauvreté (pobreza) ou paysannerie (campesinado).
  • De même, le terme « racisée » n’est pas employé dans la littérature hispanophone, et le terme « migrante » n’y a pas toujours le même sens en fonction du contexte social des pays. Par exemple, dans certains pays de l’Amérique du Sud, la migration peut correspondre aussi au déplacement de personnes autochtones. Il ne s’agit donc pas de personnes migrantes. Or, dans les références anglophones et francophones au Canada, lorsqu’on parle de migration, on parle de populations externes au pays et non de personnes autochtones qui quitteraient leur pays d’origine. En espagnol, « personas desplazadas » désignent souvent aussi des personnes migrantes et autochtones.
  • Nous avons recensé 630 références avec les moteurs de recherche (français, anglais et espagnol) : 445 ont été exclues parce qu’elles ne correspondaient pas vraiment aux critères; 69 ont été exclues par les chercheures. Finalement, 80 références, toutes langues confondues, correspondaient aux critères de notre recherche avec les ajustements expliqués.
  • Dans cette étude, ce qui nous importait était notamment de relever les références qui traitaient d’intervention et d’opérationnalisation décoloniales sur le terrain. Nous avons ainsi obtenu :
    • 65 textes en espagnol, dont 34 traitaient de l’opérationnalisation;
    • 12 textes en anglais, dont 8 traitaient de l’opérationnalisation;
    • 3 textes en français, qui traitaient tous de l’opérationnalisation.
  • Les références hispanophones montrent une variété d’auto-organisations – sous la forme d’initiatives « par et pour » – de populations de femmes qui répondent à nos critères d’opérationnalisation d’approches décoloniales et antiracistes plutôt qu’une variété d’interventions extérieures à leur milieu comme le montrent, pour la plupart, les références anglophones et francophones qui répondent à nos critères.
  • Nos résultats montrent qu’il y a de réelles lacunes dans la littérature francophone étant donné que seules trois références ont été recensées.

Conséquences relatives aux politiques

  • Certes, les recherches et les projets s’appuyant sur des approches décoloniales et antiracistes sont encouragés actuellement au Canada, mais il faudrait davantage favoriser les expériences concrètes en la matière et encourager des collaborations (de recherche et d’intervention) avec d’autres territoires à l’étranger qui ont également des populations racisées et autochtones pour mettre en commun ce que la décolonialité signifie dans différents contextes sociohistoriques.
  • Les recherches/interventions menées dans les pays en Amérique du Sud, par exemple, montrent des possibilités originales de collaboration et d’expérience avec les populations autochtones selon des approches décoloniales. Il serait intéressant de songer à diversifier les modes de collaboration en recherche/intervention au Canada tout en préservant une réflexion éthique et la mise en commun des savoirs dans les projets.
  • Comme le Canada est un pays bilingue, il est représenté à la fois dans les milieux anglophones et francophones en Europe, par exemple. En encourageant des projets francophones qui s’appuient sur des démarches décoloniales et antiracistes et leur opérationnalisation, on accroîtrait l’expertise canadienne et le rayonnement du pays sur la scène internationale.

Complément d’information

Rapport intégral

Coordonnées des chercheuses

Sophie Hamisultane (chercheuse principale), professeure adjointe à l’École de travail social de l’Université de Montréal, Sophie.hamisultane@umontreal.ca

Roxane Caron, professeure agrégée à l’École de travail social de l’Université de Montréal, roxane.caron.2@umontreal.ca

Rossio Motta Ochoa, professeure adjointe à l’École de travail social de l’Université de Montréal, rossio.motta.ochoa@umontreal.ca

Angelica Gomez, étudiante à la maîtrise à l’École de travail social de l’Université de Montréal

Mireille Malaket, étudiante à la maîtrise à l’École de travail social de l’Université de Montréal 

Léa Delambre, étudiante au baccalauréat en sociologie à l’Université de Montréal 

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