Détermination de « l’intérêt public » : l’utilisation du critère de l’intérêt public pour les décisions en matière d’infrastructures au Canada

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Le projet

La Loi sur l’évaluation d’impact (2019) a instauré un « critère d’intérêt public » pour l’approbation des projets d’infrastructures matérielles, en vertu duquel il faut déterminer si un projet proposé est dans l’« intérêt public ». S’il s’agit d’une pratique courante dans la prise de décisions en matière d’environnement, on sait peu de choses sur l’utilisation et l’utilité de ce critère pour l’évaluation des impacts. Cette synthèse examine les projets de mise en place d’infrastructures pour lesquels le critère de l’intérêt public a fait l’objet de décisions en droit canadien et la manière dont les décideurs (organismes de droit public et tribunaux) ont interprété et appliqué les dispositions à ce sujet. L’objectif est d’éclairer l’élaboration des politiques et d’inspirer des recherches plus poussées visant à évaluer les pratiques réglementaires actuelles au Canada à l’aune des bonnes pratiques.

Une analyse documentaire en deux étapes a permis de recenser l’intégralité des lois et des règlements fédéraux, provinciaux et territoriaux qui comportent un critère d’intérêt public pour la mise en place d’infrastructures, ainsi que les jugements et décisions réglementaires clés qui donnent un aperçu de la manière dont ce critère est appliqué. À cette analyse s’est ajouté un sondage par corrélations de la documentation universitaire et de la documentation grise traitant du concept d’intérêt public et de son utilisation dans la prise de décisions. Les responsables des politiques, les juristes et les universitaires peuvent se servir des résultats pour analyser et évaluer la législation et la prise de décisions en matière d’évaluation d’impacts.

Les principales constatations

L’analyse a révélé ce qui suit.

  • Il existe 52 critères d’intérêt public distincts pour la mise en place d’infrastructures dans les lois fédérales, provinciales et territoriales au Canada; ils sont mentionnés dans 33 lois et 13 règlements.
  • C’est dans la législation des provinces des Prairies que le critère est mentionné le plus souvent, mais toutes les instances, à l’exception du Nunavut, ont au moins une loi qui contient un critère d’intérêt public pour la mise en place d’infrastructures.
  • Les critères d’intérêt public sont utilisés pour approuver ou recommander l’approbation d’un projet proposé, pour rejeter ou recommander le rejet d’un projet proposé ou encore pour mettre fin à un projet existant.
  • Trente-neuf des 52 critères ciblent un secteur industriel précis (pétrole et gaz, électricité, gestion de l’eau, énergies renouvelables, foresterie, chemins de fer ou déchets); près de la moitié des critères sectoriels (44 p. 100) ont trait au pétrole et au gaz, et 23 p. 100, à l’électricité.
  • De ces 52 critères, 65 p. 100 fournissent une certaine orientation sur la manière d’évaluer l’intérêt public et 46 p. 100 présentent des facteurs explicites à prendre en compte; 35 p. 100 ne fournissent aucune orientation.
  • Quarante-huit organismes de droit public sont autorisés à évaluer l’intérêt public en ce qui concerne la mise en place d’infrastructures; ce sont de 36 à 48 organismes décisionnels qui peuvent statuer simultanément.

Chacun des 48 organismes de droit public a un mandat distinct, dont la portée n’est presque jamais explicitement définie. Selon la pratique actuelle, un décideur n’est pas tenu d’expliquer comment il soupèse les intérêts ou les données probantes lorsqu’il détermine ce qui est dans l’intérêt public. La législation définit rarement de manière explicite les mandats de protection de l’intérêt public, et seulement 6 p. 100 des dispositions ayant trait aux critères d’intérêt public examinées définissent « l’intérêt public ».

Quand les lois et règlements ne fournissent aucune orientation, le décideur a davantage de latitude. En général, les décideurs définissent leur mandat de protection de l’intérêt public en se reportant au contexte et à l’objet de la loi dans laquelle il se trouve (Memorial Gardens Association (Canada) Limited c. Colwood Cemetery Company [1958] SCR 353), et les dispositions d’intérêt public doivent être lues en parallèle avec les autres lois qui s’appliquent. Les décideurs et les tribunaux n’ont cependant pas défini ce qu’est une loi applicable, ni comment les dispositions relatives à l’objet de la loi principale doivent être prises en compte.

Dans tous les secteurs et dans toutes les lois se dégage la nécessité d’« arriver à un équilibre » des effets sociaux, économiques et environnementaux d’un projet. Dans les décisions examinées, il était courant que le décideur « soupèse » les différents facteurs contributifs pour arriver à déterminer l’intérêt public général. Il s’agit implicitement d’une forme d’analyse coûts-avantages, mais les méthodes utilisées par les décideurs pour soupeser les différents facteurs ne sont ni claires ni bien expliquées. Quelle que soit son approche, un décideur n’est généralement pas tenu d’expliquer les méthodes qu’il utilise pour déterminer l’intérêt public, contrairement à ce qui se produit dans le cas d’autres décisions de politiques et décisions réglementaires ne portant pas sur les infrastructures au Canada. C’est le secteur de l’électricité qui a présenté la méthodologie la mieux conçue et la plus détaillée pour déterminer l’intérêt public, ainsi que les orientations et l’argumentaire les plus solides sur le concept.

Ce que cela suppose pour les politiques

Il existe des lacunes importantes dans l’assise des connaissances portant sur les modalités d’application des critères d’intérêt public par les décideurs au Canada. Il est important de noter que, bien souvent, l’intérêt public n’est pas défini dans les lois canadiennes. Il faut réunir davantage d’information sur le texte de loi attribuant un mandat de protection de l’intérêt public à chacun des organismes de droit public et sur l’interprétation que ces derniers en font. On pourrait ainsi mieux comprendre comment sont prises les décisions ayant trait à l’intérêt public. Les recherches à venir devraient examiner :

  • comment les décideurs mènent des analyses coûts-avantages (implicites ou explicites) pour déterminer l’intérêt public et en quoi ces analyses se comparent aux bonnes pratiques;
  • si le critère de l’intérêt public est un instrument approprié pour approuver ou rejeter des projets d’infrastructures;
  • comment les organismes de prise de décisions responsables définissent le cadre législatif « applicable » à partir duquel ils interprètent leur mandat de protection de l’intérêt public.

Complément d’information

Rapport intégral (en anglais)

Annexe (en anglais)

Coordonnées des chercheures

Jennifer Winter (en anglais), professeure adjointe au Département des sciences économiques et directrice scientifique, politiques énergétiques et environnementales, School of Public Policy, University of Calgary jwinter@ucalgary.ca

Victoria Goodday, chercheure associée, School of Public Policy, University of Calgary victoria.goodday@ucalgary.ca

Alana Westwood, chargée de cours, Département d’études de l’environnement, Université de Winnipeg a.westwood@uwinnipeg.ca

Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des auteurs ; elles ne sont pas celles du CRSH, de l'AEIC ni du gouvernement du Canada.

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