Aux sources du Brexit : enseignements à tirer pour les relations Canada – Royaume-Uni
Le projet
Quels enseignements les démocraties industrialisées peuvent-elles tirer du référendum sur le Brexit? Le rapport de ce projet de synthèse des connaissances réunit un ensemble de constatations, émanant d’études récentes, sur les disparités géographiques observées dans le vote sur le Brexit. Selon ces études, réalisées au moyen de nouveaux outils méthodologiques, le vote en faveur du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne s’inscrit dans un ensemble plus vaste d’événements survenus dans les démocraties industrialisées ces cinq dernières années.
Nous savons que l’intégration économique internationale et l’élimination des restrictions sur le commerce sont dans l’ensemble avantageuses pour les pays visés, mais ces gains peuvent cacher des disparités considérables. En général, les gains et les pertes sont regroupés géographiquement. Comme cette concentration régionale ralentit l’adaptation aux changements qui accompagnent l’intégration, il est très difficile pour ceux qui « traînent de l’arrière » de rattraper le peloton.
Il en résulte une hausse de l’angoisse économique dans les régions où les industries doivent affronter la concurrence de produits importés. Cette angoisse est associée à un soutien populaire accru aux partis politiques qui préconisent l’isolationnisme, le nationalisme et le retrait d’engagements internationaux contraignants. On observe non seulement une baisse des salaires, mais également une montée des valeurs autoritaires et de l’hostilité à l’égard des exogroupes chez les habitants de ces régions. Certains acteurs politiques profitent de ces changements d’ordre culturel pour exploiter les clivages sociaux. Tant des facteurs économiques que des facteurs culturels jouent un rôle dans cette dynamique. Il en résulte un lien manifeste entre les difficultés économiques régionales dans les démocraties occidentales et les gains politiques enregistrés par les partis de droite et les partis radicaux.
Aucune démocratie industrialisée n’est à l’abri du type de ressac politique observé lors du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni et lors des élections de 2016 aux États-Unis. Dans un premier temps, il s’agissait de cerner les régions les plus enclines à ce type de réaction en raison de la concurrence livrée par les produits importés.
Les chercheurs ont utilisé les données des industries et les ont réparties entre les différentes régions du Canada. L’exposition de chaque région à la concurrence des produits importés a ensuite été calculée. Les mécanismes de compensation adoptés par les gouvernements pour tenter de résoudre ces difficultés ont également fait l’objet d’un examen, et leur taux de réussite a été évalué.
Les principales constatations
- Dans les pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’exposition à la concurrence de produits importés varie considérablement selon les régions.
- Même si, à l’échelle nationale, la libéralisation des échanges s’avère avantageuse sur le plan économique, on constate une montée des valeurs autoritaires, de l’extrémisme politique et de l’hostilité à l’égard des exogroupes dans les régions les plus exposées à la concurrence livrée par les produits importés.
- Les différences observées dans l’appui à la campagne en faveur du Brexit correspondent aux différences notées entre les régions géographiques pour ce qui est de l’exposition à la concurrence de produits importés.
- Les mécanismes de compensation gouvernementaux peuvent grandement atténuer les répercussions politiques de l’insécurité liée au marché du travail et à la situation économique.
- Selon les constatations préliminaires, l’exposition à la concurrence de produits importés varie grandement d’une province canadienne à l’autre, l’Ontario et le Québec y étant nettement plus exposés. En examinant de plus près les zones urbaines de ces provinces, on observe un lien négatif révélateur entre l’exposition à la concurrence de produits importés et les fluctuations de la valeur des terrains. Ce lien pourrait constituer un signe avant-coureur.
Ce que cela suppose pour les politiques
- Les gouvernements peuvent empêcher la chaîne d’événements décrits plus haut en atténuant les coûts d’ajustement associés à l’intégration. L’offre de programmes d’aide à l’ajustement commercial, tant aux États-Unis que dans l’Union européenne, s’est avérée géographiquement inégale et de plus en plus déficiente au fil des 20 dernières années. Cette situation a des conséquences observables : les régions où les mécanismes de compensation sont le plus déficients sont également les plus vulnérables au ressac électoral.
- Les constatations vont dans le sens de la création de programmes d’aide à l’ajustement commercial – non seulement à titre de mécanisme permettant de dédommager les travailleurs touchés par les nouvelles conditions des échanges commerciaux, mais également comme moyen d’empêcher certains acteurs politiques d’attribuer la responsabilité de ces difficultés aux immigrants ou à d’autres exogroupes. Les programmes d’aide à l’ajustement commercial permettent d’informer les travailleurs des causes réelles de leurs difficultés économiques, et c’est là l’un des avantages sous-estimés de ces programmes : une personne informée est moins facile à manipuler.
- S’il y a une recommandation à laquelle il importe de donner suite rapidement, c’est celle-ci : il faut renverser la tendance à la réduction des dédommagements accordés aux travailleurs touchés par la libéralisation des échanges depuis une vingtaine d’années. La capacité des démocraties industrialisées de continuer à récolter les fruits du commerce international en dépend.
Complément d’information
Rapport intégral (en anglais)
Coordonnées des chercheurs
Krzysztof Pelc, professeur agrégé, Département des sciences politiques, Université McGill kj.pelc@mcgill.ca
Kenneth Shadlen, professeur, Département du développement international, London School of Economics and Political Science k.shadlen@lse.ac.uk
Ce projet de recherche a été financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et l’Economic and Social Research Council (ESRC), qui fait partie de UK Research and Innovation, dans le cadre du concours visant l’attribution de subventions de synthèse des connaissances pour examiner l’avenir des relations commerciales entre le Canada et le Royaume-Uni. Les opinions exprimées dans cette fiche sont celles des auteurs; elles ne correspondent pas nécessairement à celles du CRSH et de l’ESRC.
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