Lauréate du prix Savoir 2020
Myriam Denov
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la jeunesse, le genre et les conflits armés, et professeure
Service social
Université McGill
C’est une chose d’écouter dans le confort de son salon des reportages sur les horreurs qui se produisent dans les zones de conflit, c’en est une autre d’en être témoin. Myriam Denov n’avait pas de cheminement de carrière précis en tête avant de partir mener des recherches sur le terrain tout de suite après la guerre civile en Sierre Leone, qui a duré de 1991 à 2002. Cette expérience a été un élément déclencheur dans son choix de spécialisation. De fait, sa volonté de mieux comprendre et de documenter les conséquences dévastatrices de cette guerre sur les enfants et les jeunes l’a amenée à se pencher sur la jeunesse, le genre et les conflits armés.
Elle s’est toujours intéressée à la défense et aux droits des enfants, mais certaines expériences ont été déterminantes : ses travaux sur le terrain en Sierra Leone ont réellement façonné son cheminement de carrière, estime-t-elle. En collaborant avec une ONG locale qui venait en aide aux enfants-soldats et défendait les droits des enfants, elle a pu entendre les histoires de garçons et de filles qui lui ont permis de mieux comprendre leur vécu et les répercussions de la guerre. Ces enfants lui ont donné envie de ne pas s’en tenir à la recherche ultraspécialisée et de s’investir davantage dans la défense de leurs intérêts.
Cela l’a poussée à passer de la parole aux actes, et ce, de plusieurs façons. Forte de son bagage multidisciplinaire en criminologie, en sociologie et en travail social, Myriam Denov a réalisé de nombreux projets de recherche financés grâce à plusieurs bourses et subventions canadiennes et internationales. Ces projets ont révélé qu’environ 87 millions d’enfants dans le monde grandissaient dans la violence et le dénuement en zones de conflits. Dans 12 livres et ouvrages collectifs et plus de 160 articles, chapitres de livres et rapports, elle a dévoilé les terribles violations des droits des enfants victimes de la guerre, expliquant à quel point leur développement et leur bien-être sont gravement compromis.
Son projet de recherche sur les enfants-soldats financé par le CRSH constitue une percée dans la compréhension de la participation des enfants aux hostilités et de ses effets à long terme. Alors que les travaux précédents avaient tendance à victimiser les enfants-soldats, les recherches de Myriam Denov ont montré que les enfants avaient recours à des méthodes uniques et subversives pour éviter de participer à la violence en ce qu’ils s’opposaient aux structures d’autorité malgré des conditions hautement coercitives. Ses travaux sur le rôle des filles dans les conflits, tout aussi novateurs, ont exposé des différences notables entre leur expérience au sein de groupes armés et celle des garçons, dont le vécu d’enfants-soldats avait jusqu’alors fait l’objet de la majorité des recherches.
Elle se souvient d’une jeune femme en particulier, une ancienne enfant-soldat qui avait 16 ans à l’époque. Enlevée par un groupe de rebelles, le Front révolutionnaire uni, elle avait non seulement participé à la guerre en tant que combattante, mais avait aussi été forcée d’« épouser » un chef rebelle. Pendant les cinq années où elle a pris part au conflit, elle a donné naissance à deux enfants conçus lors de viols, qui ont plus tard été perçus comme une honte et ont été rejetés par sa famille et sa communauté. Cette jeune fille, victime de viols, faisait de son mieux dans un contexte empreint de préjugés et de discrimination pour protéger ses enfants des horreurs de la guerre et leur offrir un avenir meilleur.
Les réflexions de Myriam Denov sur ces questions l’ont menée à la phase suivante de ses travaux. Dans le cadre d’un projet de recherche financé par le CRSH, elle a exploré les réalités des enfants nés du viol en temps de guerre et étudié l’incidence croissante de la violence sexuelle dans ce contexte ainsi que ses répercussions intergénérationnelles.
Loin de se contenter de documenter et d’analyser ces atrocités, Myriam Denov a mis sur pied des politiques et des programmes pour améliorer la vie des enfants et des familles touchés par la guerre dans le monde. Elle a notamment fondé Global Child McGill, un groupe de recherche qui étudie les réalités de la migration et de la réinstallation des réfugiés de la guerre au Canada. Composé de spécialistes en droit, en travail social, en psychiatrie, en éducation et en communications, le groupe se concentre sur l’établissement de partenariats et de collaborations interdisciplinaires pour améliorer les politiques et les pratiques canadiennes ayant trait aux réfugiés. Ses travaux ont aidé à façonner les politiques et pratiques d’Affaires mondiales Canada, du ministère de la Défense nationale et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, ainsi qu’à informer les cliniciens qui s’occupent des réfugiés et de leur famille. Ils sont également utiles à des ONG travaillant auprès de jeunes filles ayant vécu la guerre.
Sans grande surprise, vu l’importance et la nature novatrice de ses travaux, Myriam Denov est la première chercheure en travail social à avoir obtenu une bourse de recherche Killam et la première à diriger une chaire de recherche du Canada de niveau 1. Toutefois, la reconnaissance n’est pas une priorité pour elle; ce qui lui importe le plus, c’est que ses recherches entraînent des changements concrets pour les millions de jeunes coincés en zones de guerre. Malgré les grandes déclarations qui suivent chaque conflit, elle s’inquiète de voir que le monde ne semble pas tirer d’enseignements du passé et de constater encore et encore la montée de la haine envers « l’autre » aux quatre coins du globe.
Le silence entourant ces questions inquiète également Myriam Denov. Le silence du fait de la marginalisation de la participation des enfants et des jeunes, et plus particulièrement des jeunes filles et des femmes, aux conflits armés, mais également le silence quant à la participation des enfants et des jeunes aux efforts de réconciliation et à l’élaboration de programmes. Les voix des enfants et leurs expériences sont souvent considérées comme secondaires et exclues des processus majeurs de réconciliation à l’échelle nationale et internationale. La lutte contre ce silence et cette marginalisation est primordiale et, comme elle le souligne, il y a encore tellement à faire.
Au sujet des prix Impacts
Décernés chaque année, les prix Impacts visent à souligner les meilleures réalisations ayant émané d’activités de recherche et de mobilisation des connaissances que le CRSH a financées, ainsi que les meilleures réalisations ayant découlé de l’attribution d’une bourse du CRSH.
Le prix Savoir du CRSH souligne les réalisations exceptionnelles d’un chercheur ou d’une équipe dont le projet a contribué de façon substantielle à l’enrichissement des connaissances et a favorisé une meilleure compréhension de l’être humain, de la société et du monde.
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