Une équipe de recherche canadienne met au point une technologie de pointe visant à éliminer les listes de personnes en attente d’une transplantation


Fonds Nouvelles frontières en recherche | Date de publication : 2022-03-29 12:00 PM (heure de l’Est)


C’est une vie d’angoisse, difficile à imaginer pour la plupart des gens, mais néanmoins une dure réalité pour beaucoup de personnes. Elles ont du mal à respirer simplement après avoir marché d’un bout à l’autre d’une pièce ou elles peuvent ressentir un épuisement tel qu’il leur est pratiquement impossible de sortir du lit. D’autres doivent subir des heures de dialyse pour passer à travers leur journée. Ce ne sont là que quelques-unes des batailles que doivent mener chaque année au quotidien près de cinq mille Canadiennes et Canadiens qui attendent une transplantation – qui attendent l’appel confirmant que les médecins ont trouvé un poumon, un rein, un foie, un cœur ou un pancréas compatible.

Le Dr Atul Humar, qui est directeur médical du Centre de transplantation Ajmera du Réseau universitaire de santé, le plus grand centre de transplantation du Canada, situé à Toronto, dit avoir vu énormément de personnes se trouver littéralement aux portes de la mort.

Selon lui, moins du quart des Canadiennes et Canadiens sont inscrits au registre des donneurs, et ce, malgré des années d’amélioration des taux de dons d’organes. Même quand il y a don d’organes, jusqu’à 80 p. 100 des organes ne peuvent être utilisés parce que les médecins manquent de temps pour s’assurer qu’ils sont suffisamment sains et viables pour être transplantés. Et même quand les organes sont sains, il arrive souvent que les groupes sanguins du donneur et du receveur ne soient pas compatibles. Cela veut dire que, bien souvent, la personne la plus malade sur la liste n’est pas retenue parce que son groupe sanguin n’est pas compatible avec celui du donneur de l’organe. Cet organe est donc offert à la personne qui suit sur la liste et dont le groupe sanguin est compatible. Résultat : chaque année, seulement un peu plus de la moitié des Canadiennes et Canadiens qui sont en attente reçoivent une transplantation. Une personne meurt toutes les 36 heures tandis qu’elle attend cet appel, et des centaines d’autres sont trop malades pour faire partie de la liste d’attente.

Pouvoir offrir des transplantations à davantage de malades et leur sauver la vie, ce serait un accomplissement remarquable, estime le Dr Humar.

Le Dr Humar travaille avec une équipe de spécialistes des transplantations du monde entier à faire disparaître ces obstacles. Elles et ils veulent créer un monde dans lequel, peu importe le groupe sanguin des donneurs d’organes, les médecins pourront rendre chaque organe universellement compatible. Un monde dans lequel les médecins disposeront du temps nécessaire pour éliminer les infections ou les maladies dans les organes afin qu’ils soient assez sains pour être transplantés. Les organes seraient reconditionnés de façon tellement parfaite pour la ou le malade et ses besoins qu’il n’y aurait plus de risque d’infection ou de rejet. Ce serait un monde dans lequel il n’y aurait pratiquement pas de liste d’attente pour les transplantations.

D’après le Dr Shaf Keshavjee, chirurgien en chef du Réseau universitaire de santé et directeur du programme de transplantation de poumons de Toronto au Centre de transplantation Ajmera, d’autres équipes de recherche ont essayé sans succès, mais il fallait bien que quelqu’un réussisse à la longue, et c’est ce que son programme a accompli.

Le Dr Keshavjee et les membres de son équipe, qui sont des chefs de file mondiaux en transplantation des poumons depuis des décennies, croient maintenant être sur le point de révolutionner le domaine de la transplantation pour tous les organes.

Même quand il y a don d’organes, jusqu’à 80 p. 100 des organes ne peuvent être utilisés parce que les médecins manquent de temps pour s’assurer qu’ils sont suffisamment sains et viables pour être transplantés

Viendra un jour où, si un organe ne fonctionne pas, on le remplacera, tout comme on remplace une hanche, estime le Dr Keshavjee. C’est ainsi que cela devrait être, c’est possible et c’est tout à fait révolutionnaire.

Les Drs Keshavjee et Humar ainsi qu’une équipe de chirurgiens spécialistes des transplantations de tous les coins du Canada se sont vu attribuer une somme de 24 millions de dollars sur six ans, dans le cadre du concours 2020 du volet Transformation du fonds Nouvelles frontières en recherche, pour mettre au point ce qui promet d’être une technologie de transplantation d’avant-garde pouvant sauver des vies. Ce projet d’une durée de six ans, intitulé La prochaine étape en matière de transplantation, tablera sur l’invention révolutionnaire de l’équipe, le système torontois de perfusion ex vivo des poumons (EVLP), conçu en 2018. Ce système utilise des appareils spécialisés pour maintenir et traiter les poumons du donneur à l’extérieur du corps pendant une période pouvant aller jusqu’à trois jours avant la transplantation. Les chirurgiens sont ainsi mieux en mesure de tester la fonction et la viabilité du greffon avant la transplantation en vue de la meilleure adéquation possible et ont davantage de temps pour préparer le receveur à la chirurgie. Cette technologie novatrice a permis au Toronto General Hospital de faire deux fois plus de transplantations de poumons, soit plus de 200 par année, ce qui fait de cet hôpital le plus grand centre de transplantation de poumons au monde. Le système EVLP est maintenant utilisé à l’échelle internationale et sauve des vies partout sur la planète.

Quand un poumon est branché au système EVLP, dans 70 p. 100 des cas, il est possible de l’utiliser, de préciser le Dr Keshavjee, chercheur principal désigné du projet. Les travaux portent justement sur les 30 p. 100 restants.

Grâce à la subvention du volet Transformation, l’équipe pourra consacrer les six prochaines années à la mise au point de systèmes de perfusion ex vivo des organes (EVOP) – une technologie similaire à celle qui a été conçue pour les poumons – qui fournira une plateforme permettant d’évaluer et de traiter le foie, le rein, le pancréas et le cœur. L’équipe s’emploiera à éliminer des infections telles celles causées par le cytomégalovirus, le virus de l’hépatite C et les bactéries pathogènes dans les organes des donneurs avant la transplantation, essentiellement en stérilisant les organes pour les rendre sains et fonctionnels. L’équipe va également tenter de réaliser une première mondiale : éliminer la nécessité de la compatibilité des groupes sanguins et rendre tous les organes « universels », c’est-à-dire pouvant être transplantés à n’importe quel malade. Cette percée résulte d’une découverte effectuée par le Dr Marcelo Cypel, cochercheur principal du projet, laquelle est non seulement considérée comme absolument transformatrice en médecine de la transplantation, mais qui a également le potentiel de sauver des milliers de vies de plus chaque année dans le monde.

Actuellement, il faut que le groupe sanguin du greffon soit le même que celui du receveur (A, B ou O). Le Dr Cypel convertit des greffons des groupes A et B en greffons du groupe O pouvant être reçus par des receveurs de n’importe quel groupe. Quiconque a besoin d’un greffon pourrait donc le recevoir. Si l’on parvenait à faire cela, pense le Dr Keshavjee, on pourrait sauver des gens qui ont besoin d’une transplantation sur-le-champ.

Cela permettrait d’attribuer les organes de façon beaucoup plus équitable, puisqu’il serait désormais possible de vraiment choisir la personne qui est en tête de liste parce qu’elle est la plus malade, et pas uniquement parce que c’est la personne compatible, selon le Dr Cypel, qui est chirurgien thoracique au Réseau universitaire de santé et enseigne la chirurgie à l’University of Toronto. À titre d’exemple, au Canada, une personne du groupe B attend en moyenne neuf ans pour recevoir un rein. Si elle était du groupe O, la même personne n’attendrait que deux ans. Cette avancée pourrait donc avoir un impact énorme.

La technologie peut également avoir un impact important en ce qui concerne l’allotransplantation de tissus composites (peau, muscles, nerfs, vaisseaux). La Dre Siba Haykal, spécialisée en chirurgie plastique et reconstructrice au Réseau universitaire de santé et cochercheure principale du projet, affirme que le système de perfusion ex vivo des organes préservera les tissus composites à l’extérieur du corps pendant une plus longue période en l’absence de circulation sanguine. Cela permettra aux chirurgiennes et chirurgiens comme elle de faire appel au génie biologique pour créer de nouveaux tissus composites, en en retirant les cellules du donneur et en les remplaçant par des cellules du receveur. Il s’agira de faire en sorte que le corps du receveur pense que les tissus lui appartiennent. Ce serait une percée incroyable qui pourrait éliminer le recours à de fortes doses de médicaments anti-rejet.

Réunir une équipe interdisciplinaire multinationale maximise les possibilités de remédier de façon durable à la pénurie d’organes et de sauver davantage de vies.

Pour elle, cela représente de nouvelles techniques susceptibles de réellement modifier la vie d’une personne. Qu’elle ait été défigurée par des brûlures, une blessure ou un cancer, qu’elle ait été amputée et doive avoir un membre artificiel ou qu’elle ait besoin de nouvelles voies respiratoires, la médecine pourra donner de l’espoir à cette personne à qui peu de possibilités s’offrent à l’heure actuelle. Si l’on parvient à utiliser des techniques qui réduiront la quantité de médicaments anti-rejet, et qui peut-être même un jour élimineront la nécessité d’avoir recours à ces médicaments, cela aura un impact très considérable sur la qualité de vie des malades, selon la Dre Haykal.

Vingt-huit cochercheures principales et cochercheurs principaux et cocandidates et cocandidats du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni participent à ce projet de recherche. Brendan Parent, cocandidat et professeur adjoint au sein de la Division de l’éthique médicale de l’École de médecine de la New York University, où il est également directeur du programme de recherche sur les aspects éthiques de la transplantation et les politiques en la matière, examinera comment l’équipe pourrait s’y prendre pour accroître la confiance à l’égard de la recherche sur les transplantations. L’équipe veut s’assurer de l’attribution équitable des organes qui serviront à la recherche et compte mettre en place des pratiques d’autorisation et de consentement misant sur la collaboration de la collectivité. Brendan Parent indique que son objectif personnel est de sensibiliser davantage la population à la recherche sur les transplantations et de la faire participer sur un pied d’égalité avec les chercheures et chercheurs à l’avancement de la chirurgie des transplantations. Réunir une équipe interdisciplinaire multinationale maximise les possibilités de remédier de façon durable à la pénurie d’organes et de sauver davantage de vies.

Le Dr Keshavjee, quant à lui, estime que ce projet transformera le domaine de la transplantation, en créant un monde où chaque malade sera traité en fonction d’un plan de transplantation personnalisé.

Une ou un malade qui reçoit un diagnostic de cancer subit une biopsie, puis les médecins déterminent la suite, explique-t-il. Tous les malades ne sont pas traités avec le même médicament, la même chimiothérapie ou la même chirurgie; le traitement de chaque malade est personnalisé. La transplantation est un domaine relativement jeune et, jusqu’à maintenant, tous les organes ont été traités de la même manière. Aujourd’hui, les laboratoires peuvent utiliser une approche relevant de la médecine personnalisée et créer de nouveaux organes qui sont préparés à l’avance pour la tâche qu’ils effectueront. C’est le nouvel horizon auquel donnent lieu ces travaux de recherche.

Le Dr Humar espère qu’un jour, grâce à la percée réussie des systèmes de perfusion ex vivo des organes, les hôpitaux partout dans le monde devront augmenter leur capacité de faire face à la forte demande de transplantations. Ce serait un rêve qui se réalise pour celles et ceux qui œuvrent dans ce domaine s’il y avait tellement d’organes que l’on ne saurait qu’en faire.

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