D’un revêtement métallique à des miracles en médecine : une première internationale qui pourrait révolutionner le secteur des métaux et la lutte contre le cancer


Fonds Nouvelles frontières en recherche | Date de publication : 2022-03-01 12:00 PM (heure de l’Est)


C’est ce que tout chimiste espère réaliser un jour : une percée d’une importance considérable. Pour Cathleen Crudden, spécialiste de la chimie organique, cela s’est produit en 2012, à la suite d’une conférence inspirante entendue à la Queen’s University, à Kingston en Ontario. 

Cela faisait dix ans qu’elle étudiait, avec d’autres, les atomes métalliques simples. Un bon ami à elle, Peter McBreen, a prononcé une conférence traitant de l’interaction des carbènes avec les surfaces métalliques et d’autres types d’interactions de composés organiques avec des métaux. Elle a été très étonnée : quelqu’un a donc réussi à réunir les deux? C’est-à-dire  une molécule organique stable et des surfaces métalliques intéressantes.

Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en chimie organique et professeure de chimie à la Queens University, Cathleen Crudden a quitté la conférence et a immédiatement appelé son aide de laboratoire, se montrant impatiente de mettre cette idée à l’épreuve. Son équipe n’y croyait guère au début, mais a accepté de faire le test. Le résultat a été quasi magique.

Et cela a fonctionné au-delà de toute attente, estime-t-elle.

Son équipe a mis au point une molécule qui peut se lier en une fine couche à une surface métallique et en changer les propriétés. Il se peut que cette couche puisse protéger les métaux des impacts environnementaux et qu’il en découle des produits plus durables et dont la durée de vie prévue sera plus longue.

La corrosion coûte 66 milliards de dollars par année à la population canadienne. Simplement en améliorant les revêtements métalliques, on pourrait économiser annuellement 25 p. 100 de cette somme.

Qu’il s’agisse d’une voiture ou d’un pipeline, l’extérieur est un oxyde, c’est métallique, inorganique. Quand on veut les protéger de la rouille ou y apposer de la peinture, on veut les recouvrir de quelque chose d’organique et, comme l’eau et l’huile, cela ne se mélange pas. L’équipe, elle, essaie de modifier la surface du métal pour qu’elle semble organique et que la peinture ait envie de s’y déposer.

Cathleen Crudden – après s’être demandé si cela avait déjà été fait – a validé l’idée avec son équipe et déposé une demande de brevet qui attire maintenant l’attention sur la scène internationale. Elle est la chercheure principale désignée d’un projet qui s’est vu attribuer 24 millions dollars dans le cadre du concours du volet Transformation du fonds Nouvelles frontières en recherche. Au cours des six prochaines années, la chercheure et son équipe de scientifiques vont vérifier les applications et la durabilité de cette découverte. La technologie devrait transformer le secteur des métaux dans le monde.

La corrosion coûte 66 milliards de dollars par année à la population canadienne, selon Janine Mauzeroll, cochercheure principale du projet, qui est bioélectrochimiste spécialisée en corrosion et professeure à l’Université McGill, à Montréal. Ce sont, dit-elle, 3,4 p. 100 du PIB du Canada qui sont gaspillés chaque année pour l’entretien et le remplacement des métaux. Simplement en améliorant les revêtements métalliques, on pourrait économiser annuellement 25 p. 100 de cette somme. Cela représente énormément d’argent.

On estime que cette technologie pourra être utilisée sur tout ce qui est en métal, des automobiles aux avions en passant par les pipelines. Et ses impacts sur la santé humaine pourraient être énormes et transformer la radiothérapie utilisée dans le traitement du cancer.

Pour Gang Zheng, autre cochercheur principal titulaire de la Chaire de recherche du Canada en nanomédecine du cancer et directeur de la recherche adjoint au Princess Margaret Cancer Centre, à Toronto, il s’agit véritablement d’une transformation en profondeur.

Il a consacré sa carrière à la mise au point de technologies susceptibles d’applications cliniques pour lutter contre le cancer. Le revêtement pourrait s’attacher aux nanoparticules d’or utilisées en radiothérapie, et il pourrait en résulter un traitement extrêmement précis. Et avec une telle précision, pense Gang Zheng, il se pourrait qu’un seul traitement de radiothérapie soit suffisant.

Cela pourrait changer complètement la donne, en particulier pour les personnes de communautés autochtones éloignées qui doivent, à l’heure actuelle, passer un mois complet en ville dans un centre de traitement du cancer. Avec un seul traitement, ces personnes n’auraient plus à venir à l’hôpital ou à séjourner à l’hôtel pendant tout un mois. Et c’est sans compter le fait que l’on pourra peut-être augmenter la dose de radiation sans tuer les cellules saines et peut-être aussi surmonter la résistance à la radiothérapie. C’est un objectif partout dans le monde, et les recherches progressent bien au Canada, s’enthousiasme Gang Zheng.

Il a réuni une équipe de chimistes et de physiciens pour faire passer les résultats du banc d’essai au chevet du malade. La technologie sera d’abord mise à l’essai avec des types de cancers qui ne réagissent pas bien à la radiothérapie : cancer du pancréas, cancer du rein et mélanome. L’équipe s’est fixé un objectif ambitieux : commencer les essais cliniques sur des sujets humains d’ici la fin du projet d’une durée de six ans.

Cette nouvelle technologie, croit Gang Zheng, devrait donner lieu à une nouvelle génération de médecine des radiations.

Tout cela découle de recherches fondamentales et, pour Cathleen Crudden, c’est fantastique que le gouvernement du Canada accorde à de telles recherches un financement davantage concurrentiel à l’échelle internationale, ce qui permettra des avancées incroyables.

L’équipe utilisera une bonne partie du financement du volet Transformation du fonds Nouvelles frontières en recherche en vue d’établir quels sont les meilleurs procédés pour appliquer le revêtement et comment rendre celui-ci accessible aux fabricants partout dans le monde. L’équipe vérifiera également la longévité de la technologie et travaillera avec des chefs de file du secteur pour déterminer comment produire le revêtement sur une échelle suffisamment grande pour répondre à la demande. 

Le revêtement sera mis à l’essai jusqu’au point de rupture, selon Paul Ragogna, spécialiste de la chimie des matériaux de la Western University, à London en Ontario, également cochercheur principal du projet, pour qui cet investissement du volet Transformation du fonds change complètement la donne.

Cette nouvelle technologie devrait donner lieu à une nouvelle génération de médecine des radiations.

Habituellement, le travail sur les molécules se fait à très petite échelle – des centaines de milligrammes – dans des laboratoires universitaires. Dans ce cas-ci, il faudra des milliers de   kilogrammes pour que cela réussisse, affirme Paul Ragogna. Les modalités de production de masse sont l’une des premières choses à examiner.

Comme le revêtement sera utilisé sur des métaux, dont des pipelines, sur des navires dans l’océan et à l’intérieur d’êtres humains pour le traitement de cancers, les recherches de Janine Mauzeroll seront axées sur l’aspect sécuritaire du produit.

Cette dernière indique qu’en raison des effets possibles sur la santé des gens, l’un des grands objectifs de ce projet de six ans sera de tester systématiquement la toxicité du produit, afin d’éviter de se retrouver au bout du compte avec un revêtement qui est toxique ou qui pollue l’environnement.

Les membres de l’équipe conviennent que c’est l’expertise en chimie et la curiosité naturelle de Cathleen Crudden qui les ont réunis pour ce projet.

Pour Cathleen Crudden, il s’agissait au départ d’un intérêt pour la recherche fondamentale. Elle n’avait aucune idée – vraiment aucune – que cela pourrait mener à des applications dans l’un ou l’autre de ces domaines. Et elle trouve cela très stimulant, car elle est d’avis que c’est ce que la recherche fondamentale devrait faire.

Date de modification :