Sous-emploi des titulaires de doctorat : un mal pour la recherche

par Ted Hewitt

À l’origine, cet article a été publié en anglais dans The Chronicle Herald le 3 janvier 2018.

Statistique Canada compte rétablir son enquête sur le personnel enseignant à temps plein au moyen du Système d’information sur le personnel d’enseignement dans les universités et les collèges et y inclure des données sur le personnel enseignant à temps partiel.

Les données révélées par l’enquête devraient apporter un éclairage précieux sur un défi croissant bien connu, mais dont le milieu universitaire discute trop peu : l’augmentation récente du nombre de titulaires de doctorat sous–employés dans les universités canadiennes.

En effet, les établissements se sont efforcés d’encourager les diplômés à envisager des emplois en dehors des universités et les ont davantage dirigés vers des carrières dans la fonction publique et dans le secteur privé. Cependant, le système continue de présenter des défis importants pour les étudiants ayant récemment obtenu leur doctorat, pour le renouvellement du milieu universitaire ainsi que pour les possibilités de recherche futures du Canada.

De nombreux titulaires de doctorat ont certes comme objectif d’occuper un poste dans la fonction publique ou dans le secteur privé. Mais pour ceux qui choisissent une carrière en recherche, la vie a bien changé. Jadis, la voie à suivre pour faire carrière dans le milieu universitaire était claire et simple : mener à bien un programme de doctorat pendant quatre ou cinq ans, faire des études postdoctorales, être chargé de cours à temps partiel, occuper peut‑être un poste ou deux doté pour une durée déterminée, puis obtenir, enfin, un poste menant à la permanence.

Mais cette époque est révolue. Le plus grand nombre d’inscriptions aux études supérieures, les budgets plus serrés des universités et la fin du départ obligatoire à la retraite des professeurs se traduisent par des perspectives peu reluisantes pour une génération entière de nouveaux chercheurs, et ce, dans pratiquement toutes les disciplines.

Par conséquent, beaucoup moins de postes menant à la permanence sont disponibles, davantage de cours sont donnés par des professeurs à temps partiel engagés pour une session, et les universitaires en début de carrière ont beaucoup moins de possibilités de mener des recherches d’importance. Ils passent plutôt pratiquement tout leur temps à chercher des possibilités d’enseignement pour une session, ce qui exige beaucoup de temps, paie peu et offre une sécurité d’emploi précaire, voire inexistante.

Je ne vous demande évidemment pas de me croire sur parole. Prenons plutôt l’exemple d’une nouvelle chercheure, appelons–la Catherine, dont l’histoire pourra vous sembler familière.

« Lorsque j’étudiais au premier cycle, je savais que je voulais choisir une carrière qui me permettrait d’aider les gens et de faire changer les choses de façon positive dans le monde. J’étais convaincue que le fait de devenir universitaire et chercheure me mènerait sur cette voie. J’aurais la possibilité d’enseigner à des personnes  plus jeunes que j’espérais pouvoir inspirer et motiver à poursuivre la carrière qui leur conviendrait le mieux. J’aurais également la possibilité de mener des recherches qui pourraient aider à résoudre les questions de l’heure et je pourrais mettre mes connaissances au service de l’amélioration de la société.

Mais vers la fin de mon doctorat, j’ai compris quelles étaient mes chances en réalité d’obtenir un poste permanent dans le milieu universitaire. Mes camarades, qui étaient plus avancés que moi dans leur carrière, posaient déjà leur candidature pour des postes. Après avoir présenté de nombreuses demandes et n’avoir été convoqué qu’à très peu d’entrevues, l’un d’entre eux a reçu une offre de poste d’enseignement d’une durée déterminée dans un petit établissement d’enseignement universitaire de premier cycle. Il a décidé de l’accepter, car il avait une jeune famille dont il devait prendre soin. »

Et Catherine de poursuivre en disant que les postes de professeurs uniquement axés sur l'enseignement posent problème, car les chargés de cours doivent habituellement enseigner à un plus grand nombre d’étudiants que dans les établissements axés sur la recherche. Année après année, leur curriculum vitæ devient moins concurrentiel, car ils n’ont ni le temps ni les ressources pour demander du financement ou mener les recherches qui les aideraient à obtenir un poste permanent.

Mais Catherine a eu de la chance. Elle a finalement été embauchée dans un établissement du Royaume‑Uni.

« Quand mon tour est venu et que j’ai commencé à poser ma candidature pour des postes, explique–t–elle, la première chose que j’ai constaté, c’est à quel point peu de postes menant à la permanence ou même de postes d’une période déterminée étaient affichés. Souvent, je ne recevais même pas d’accusé de réception. Les mois passaient, et ma famille s’agrandissait, alors j’ai dû prendre des décisions très difficiles. Sans emploi, ni études postdoctorales en vue, j’ai senti que je n’avais d’autre choix que de présenter ma candidature pour un poste à l’extérieur du Canada. »

Finalement, cette décision s’avère bénéfique pour la carrière de Catherine, mais elle l’est moins pour le Canada. Des programmes annoncés récemment, comme le Programme des chaires de recherche Canada 150, aideront sans doute à ramener quelques jeunes universitaires comme Catherine dans les établissements canadiens, mais le problème demeure entier, et peu de solutions existent.

Si des postes se libèrent dans les années à venir à mesure que davantage de membres chevronnés du corps professoral prennent leur retraite, de jeunes chercheurs comme Catherine ne seront peut‑être plus disponibles pour occuper les postes vacants, car ils auront choisi des carrières attirantes à l’étranger, dans la fonction publique ou dans le secteur privé. Le Canada sera alors en manque de talent, comme cela s’est produit lors de l’expansion du système dans les années 1960, alors que les établissements ont été obligés d’embaucher des étrangers pour la majorité des nouveaux postes.

En ce qui concerne les jeunes chercheurs ayant eu la chance de trouver un poste en recherche au Canada, les organismes subventionnaires fédéraux (et, dans certains cas, provinciaux) offrent de plus en plus de programmes pour aider à lancer leurs carrières qui débute. Les subventions de développement Savoir du Conseil de recherches en sciences humaines sont un excellent exemple d’occasion de financement ciblant les nouveaux chercheurs et les nouvelles pistes de recherche.

Toutefois, les mécanismes existants d’aide financière à la recherche ne constituent pas le vrai défi. Le vrai défi consiste plutôt, pour les établissements, à trouver des façons d’accroître le nombre de postes universitaires offerts afin d’accélérer l’intégration de chercheurs en début de carrière dans un milieu de plus en plus soumis à des contraintes financières. Comme l’a mentionné à juste titre la professeure Julia Wright dans un article d’Affaires universitaires intitulé Investir dans les doctorants grâce au renouvellement du corps professoral, publié le 6 novembre 2017, les efforts de renouvellement du corps professoral de la part des universités font partie de la solution.

En outre, les organismes de financement de la recherche, les gouvernements et le milieu universitaire doivent s’unir dans le cadre d’un effort plus global de renouvellement et de soutien du système qui non seulement aide les établissements d’enseignement postsecondaire à assurer un roulement adéquat du corps professoral, mais favorise aussi l’équité et la diversité comme moyen de promouvoir l’excellence en recherche et en formation. Autrement, nous continuerons de perdre des personnes de talent et nous courrons le risque de maintenir des lacunes qui ne pourront être comblées facilement par l’entremise de l’éventail actuel de stratégies et de programmes de recrutement nationaux et internationaux.

Les titulaires de doctorat canadiens ne méritent rien de moins, et l’avenir de la recherche au Canada pourrait bien en dépendre.