La situation peut s’améliorer
Contrer la cyberintimidation chez les jeunes
Madeline était préadolescente lorsqu’elle a demandé à sa mère, Megan Davies, un téléphone cellulaire. Mme Davies était inquiète, mais prête à répondre à cette demande, inévitable à la suite de leur participation à une étude sur la cyberintimidation financée par le CRSH.
Madeline, qui avait 10 ans à l’époque, et Mme Davies ont rempli un questionnaire dans le cadre de l’étude. L’expérience a permis à cette mère de trouver un bon point de départ pour discuter de la question avec sa fille.
« À ce moment-là, les parents d’élèves de 4e année ne pensaient pas à cela, se rappelle-t-elle. C’était une toute nouvelle réalité. J’étais inquiète à l’idée de lui donner accès à cette technologie. Je voulais attendre le plus longtemps possible. »
Si la participation à l’étude lui a permis d’en parler avec sa fille, qui fréquente maintenant une école secondaire, Mme Davies a aussi l’impression qu’elle les a toutes deux mieux préparées à affronter les dangers que présentent les médias sociaux aujourd’hui.
Intitulée Motivations for Cyberbullying: A longitudinal and multi-perspective inquiry, l’étude (en anglais), qui a été réalisée sur trois ans (de 2012 à 2014), a examiné de façon exhaustive la question de l’intimidation dans les médias sociaux. Dans le cadre de cette étude, le Toronto District School Board a établi un partenariat avec l’University of Toronto, qu’a dirigé Faye Mishna, spécialiste renommée en matière d’intimidation et doyenne de la faculté de travail social Factor-Inwentash.
L’étude a visé 19 écoles du Toronto District School Board. Au total, 671 élèves de 4e, 7e et 10e année, ainsi que des parents et des enseignants, ont répondu aux questionnaires. Les chercheurs ont également mené des entrevues auprès de 57 élèves.
L’étude a révélé quelques faits surprenants.
- On observe une normalisation de la cyberintimidation. Les jeunes participant à l’étude n’étaient pas certains de savoir en quoi consistait exactement la cyberintimidation puisque, lorsqu’ils sont branchés aux médias sociaux, ils s’attendent à voir des « blagues » entre amis et pairs, peu importe si elles blessent les personnes qui en sont l’objet.
- Les jeunes savent qu’ils devraient avertir un adulte lorsqu’ils voient des commentaires blessants dans les médias sociaux, mais la plupart d’entre eux ne le font pas. Les pressions des pairs et la peur de subir encore plus d’intimidation s’ils accordent trop d’importance à la situation en sont les principales raisons.
- Les comportements liés à la cyberintimidation sont perçus différemment par les garçons et par les filles. Les commentaires agressifs publiés par des garçons dans les médias sociaux sont considérés comme étant provocants alors que les commentaires des filles sont perçus comme étant dramatiques. On constate que les filles sont touchées plus profondément par la cyberintimidation, la plupart des comportements hostiles en ligne étant axés sur l’apparence et comportant la diffusion de rumeurs ainsi que la publication d’images blessantes de la personne visée.
Selon Mme Mishna, les raisons poussant les jeunes à la cyberintimidation varient. Ils le font pour attirer l’attention, pour avoir l’air « cool » et dur, parce qu’ils sont mus par un sentiment de jalousie ou pour se sentir populaires ou puissants.
La cyberintimidation n’a pas encore complètement remplacé l’intimidation en personne, mais elle a des répercussions beaucoup plus graves. Seuls quelques témoins assistent à l’intimidation qui se produit dans la cour de l’école alors que, dans le cas de la cyberintimidation, ce sont tous les internautes qui peuvent en être témoins. L’humiliation et la souffrance n’en sont que plus intenses, affirme Mme Mishna.
Il est également plus facile de s’adonner à l’intimidation dans Internet, ce qui peut donner lieu à davantage de cruauté puisqu’il est impossible d’en observer sur-le-champ les effets sur la victime.
« Il n’est généralement pas possible de voir les signaux sociaux et contextuels dans le cyberespace, explique Mme Mishna. En raison de cette absence d’interactions visuelles, la personne qui intimide ne voit pas les signaux qui pourraient lui indiquer que quelque chose ne va vraiment pas et qu’elle provoque une profonde détresse. »
Lorsqu’il s’agit de cyberintimidation, de dire Mme Mishna, il y a davantage de possibilités de passer d’un rôle à l’autre, soit de celui de l’intimidateur à celui de la victime. « Il est plus facile de riposter dans le cyberespace, explique-t-elle. L’enfant ciblé y devient donc plus souvent celui qui intimide. »
L’étude de Mme Mishna a aussi eu des répercussions au sein de l’administration scolaire, notamment à la Swansea Junior and Senior Public School, à Toronto, l’une des écoles ayant participé à l’étude.
La directrice adjointe, Cherril George, estime que l’étude de Mme Mishna a permis de sensibiliser le milieu scolaire à diverses formes de cyberintimidation et aux effets destructeurs qu’elle a, non seulement sur les élèves intimidés, mais aussi sur leurs amis et les membres de leur famille.
« Ces conclusions nous ont poussés à collaborer avec le comité d’école, les professionnels de soutien et d’autres partenaires afin de concevoir des ateliers et des présentations sur mesure dans le but d’éduquer le milieu scolaire dans son ensemble. Nos professionnels de soutien ont également pu mieux comprendre des problèmes qui touchent les élèves de certains groupes d’âge. »
Mme Mishna envisage de sensibiliser davantage les gens à cette question en continuant de mobiliser les responsables des politiques et en donnant des conseils aux écoles, aux parents, aux jeunes et aux entreprises parties prenantes, comme Telus. Son objectif : que tous puissent circuler en toute sécurité dans le champ de mines que sont les médias sociaux.