Le multitâche mobile poussé encore plus loin
Des chercheurs financés par le CRSH étudient les effets sur le cerveau d’une utilisation mobile
Une équipe de chercheurs du Tech3Lab de HEC Montréal financée par le CRSH entre – littéralement – dans la tête des adeptes de Pokémon Go.
Nous avons tous vu ces jeunes et moins jeunes déambulant dans les rues et quartiers de la ville, les yeux rivés sur leur téléphone intelligent. Leur mission : trouver des Pokémon dans leur « habitat ».
Tout a commencé en juillet 2016, à la mise en marché de ce jeu en réalité augmentée. En se servant de la fonction de géolocalisation de leur appareil mobile, les utilisateurs repèrent, capturent, puis dressent des créatures virtuelles.
Que des personnes marchent en étant plus attentives à leur appareil mobile qu’au contexte environnant, ce n’est pas nouveau. En fait, on s’en préoccupe depuis des années. Sous la direction de Pierre-Majorique Léger, codirecteur du Tech3Lab, les chercheurs tentent de voir si l’activité cérébrale d’une personne qui joue à un jeu mobile est différente de celle de quelqu’un qui envoie des textos en marchant.
Le Tech3Lab effectue des recherches poussées sur l’interaction entre les interfaces technologiques et leurs utilisateurs. Au moyen d’instruments qui mesurent les mouvements oculaires et l’activité du système nerveux, les chercheurs étudient le processus de prise de décision chez des personnes et des groupes.
L’équipe de M. Léger a reçu une subvention de 145 000 $ du CRSH en mars 2016 pour étudier les effets de l’utilisation multitâche d’un appareil mobile sur le plan cognitif, affectif et comportemental.
En juin dernier, l’équipe a publié les résultats d’une étude pilote au cours de laquelle elle a analysé les ondes cérébrales de volontaires qui envoyaient des textos tout en marchant. Les chercheurs ont observé une baisse du niveau de concentration, ainsi qu’une hausse de 30 p. 100 du taux d’erreur.
Selon M. Léger, il est incontestable que le multitâche mobile ralentit notre vitesse de réaction quand vient le moment de prendre des microdécisions, ce que nous devons faire constamment.
La frénésie Pokémon Go s’est alors déclarée, et l’équipe a axé l’autre volet de ses recherches sur les adeptes de ce jeu mobile. Des volontaires ont parcouru le Vieux-Montréal en jouant à ce jeu, portant des lunettes oculométriques qui ont aidé les chercheurs à évaluer le temps que prenait le cerveau pour passer d’une tâche à une autre.
M. Léger se dit stupéfait que l’on puisse encore penser, en dépit de toutes les preuves démontrant le contraire, que le fait d’utiliser un appareil mobile n’est pas un comportement dangereux, alors même qu’il est une source de distraction.
Les gens, dit-il, sous-estiment les risques.
Il explique qu’envoyer des textos tout en marchant est une activité interactive : on envoie un message, puis on attend la réponse. On peut quitter l’appareil des yeux, mais on attend la suite de la conversation.
Dans un jeu comme Pokémon Go, par contre, l’attention des joueurs est constamment axée sur le jeu. On ne veut pas perdre le rythme, et c’est pourquoi on reste toujours dans un même état de distraction.
Une fois l’étude terminée, M. Léger compte travailler auprès de concepteurs de logiciels afin de les sensibiliser aux effets de leurs jeux sur l’activité cérébrale des joueurs. Il estime qu’ils ont la responsabilité professionnelle de concevoir des jeux et des applications qui ne mettent personne en danger et qu’ils peuvent ainsi sauver des vies.