Entrevue avec Shana Poplack
La sociolinguistique est l’étude de la langue dans son contexte social, c’est-à-dire de la façon dont les gens parlent tous les jours. Comme sociolinguiste, je m’intéresse à des sujets qui sont importants pour la société.
Par exemple, dans les gros titres de The Gazette, on a récemment lu que l’anglais du Québec devient incompréhensible ailleurs dans le monde supposément à cause des mots français, comme « dépanneur », qu’on y trouve. Dans Le Droit, on a aussi lu que la raison pour laquelle les jeunes francophones ne parlent pas bien leur langue est que leurs enseignants ne la parlent pas assez bien eux-mêmes. Ces allégations nous ont menés à deux projets de recherche très précis à long terme qui ont généreusement été financés par le CRSH, ce qui a permis de vérifier ces deux allégations de façon scientifique.
La langue change constamment, et on ne sait pas dans quelle direction. Certaines innovations sont souvent jugées incorrectes, ce qui est une réaction typique, alors que certaines autres formes qui n’ont pas changé sont souvent réprouvées, surtout si elles sont associées à des groupes sociaux qui sont désavantagés sur d’autres plans.
La plupart des gens ne réalisent pas que la langue est l’une des cibles de discrimination les plus visibles et les plus courantes. Par exemple, on ne peut pas refuser d’engager une personne sous prétexte qu’elle appartient à un certain groupe ethnique ou racial. Pourtant, on peut refuser de l’embaucher si elle ne parle pas assez bien l’anglais, par exemple.
Je pense qu’il y a certaines formes qui finissent par être associées à certains groupes de la société.
« Honest to God, y m’a amenée direct à la maison, jusqu'à sa maison à l' monsieur! »
Prenons une locution comme « Va t’assir! » Cette locution est une variante de « Va t’asseoir! ». Les deux ont coexisté depuis des siècles. Il y a certaines personnes qui détestent la locution « Va t’assir! ». Pourquoi? Parce qu’ils associent cette locution à certains groupes de la société qui sont mal vus pour d’autres raisons.
Je pense que la plus grande utilité de cette recherche est qu’elle a permis de remettre en question certains stéréotypes de longue date sur le mélange de langues, les langues minoritaires et, de façon plus générale, la langue qui s’écarte de la norme. Le meilleur exemple est peut-être le mélange de langues, c’est-à-dire quand on commence une phrase dans une langue et qu’on la termine dans une autre. Ce phénomène existe dans les communautés bilingues du monde entier. Il est condamné par tout le monde, car les gens estiment qu’il détruit les deux langues. Nos travaux montrent qu’en fait, ce phénomène exige une grande habileté linguistique et qu’il n’est donc pas une faiblesse, mais un signe de compétence linguistique.
Cette récompense est évidemment un très grand honneur, car elle confirme l’importance de ma recherche, qui a souvent été très controversée. Je pense qu’elle confirme aussi l’importance de la linguistique dans son ensemble, un domaine que la plupart des gens ne connaissent même pas. Mais elle confirme surtout l’importance de la sociolinguistique et de notre tentative de corriger certains préjugés sociaux par l’étude de la langue.
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