Entrevue avec Douglas Hunter
Je suis rédacteur pigiste, auteur, illustrateur et étudiant de doctorat en histoire à l’Université York. Ma longue expérience de journaliste et d’auteur fait en sorte que le processus de recherche et de rédaction en milieu universitaire m’est familier.
Ma thèse porte sur la cryptohistoire et les écrits relatant la découverte du Nouveau Monde.
Ce qui rend la cryptohistoire intéressante, c’est qu’elle se situe en marge de l’histoire traditionnelle et qu’elle est généralement écrite par des non-spécialistes. En un certain sens, elle va au-delà des connaissances reconnues, mais elle se trouve en même temps au cœur de l’histoire populaire. Du point de vue de certaines idées, elle est probablement même plus populaire que les écrits relatant les découvertes précolombiennes et vikings de l’histoire traditionnelle.
Ce qui est intéressant dans la cryptohistoire, c’est qu’il y est beaucoup question des conceptions raciales et ethniques associées aux premiers arrivants en Amérique ainsi que des droits territoriaux. Dans les textes cryptohistoriques, une grande quantité de matériel, de pictogrammes et de pétroglyphes autochtones sont réinterprétés avec véhémence comme étant des preuves de l’arrivée première des Vikings ou des Phéniciens en Amérique. Ces textes nient donc l’existence d’un capital culturel d’appartenance autochtone.
J’espère que ma recherche de doctorat aidera à faire comprendre qu’en matière de cryptohistoire, en raison du simple fait de la popularité qu’elle connaît, sortir à ce point des sentiers battus comporte des conséquences.
Ce type d’histoire « extrême » et fort populaire est considéré non pas tant pour son contenu, qui est discrédité plutôt vigoureusement, que pour les conséquences qu’il entraîne.
Le processus par lequel la cryptohistoire est formulée, puis reçue avec enthousiasme par le public, favorise l’émergence de certaines conceptions relatives aux droits autochtones ainsi qu’au matériel autochtone, des conceptions qui prennent toute leur importance lorsque des gens se mettent à décider que les premiers arrivants en Amérique ne sont pas ceux reconnus comme tels et, par conséquent, que leurs revendications territoriales ne sont pas fondées. Voilà une conséquence bien réelle d’une interprétation de l’histoire.
Quand on étudie diverses périodes de l’histoire, je crois que l’une des choses que l’on peut apporter sur le plan intellectuel, c’est d’essayer de mettre en contexte les enjeux contemporains et de rappeler aux gens que ces enjeux ont des précédents issus d’une pensée historiographique, c’est-à-dire que les idées actuelles ne sont pas aussi nouvelles que l’on pourrait le croire. Elles existaient déjà dans les années 1920, et je pourrais aussi vous parler des années 1850, époque où ces concepts occupaient une place très importante. De nos jours, dans un contexte de marché des idées et de diffusion instantanée des nouvelles, le passé se perd rapidement. Il n’existe plus, et nous continuons tout bonnement d’avancer. Le rôle de l’historien est de changer cette façon d’agir et de garder le passé bien vivant, au cœur du présent.
Pour moi, la Bourse William-E.-Taylor du CRSH est une récompense inattendue qui me fait grand plaisir, car elle vient souligner avec distinction ma décision de retourner à l’université après 30 ans afin de me consacrer à un domaine de recherche particulier et d’y travailler de façon ininterrompue pendant plusieurs années, ce que je n’aurais tout simplement pas pu faire sans une bourse d’études supérieures du Canada Vanier et la Bourse William-E.-Taylor.
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