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Andrée Lajoie

Médaille d’or du CRSH pour les réalisations en recherche

Andrée Lajoie, récipiendaire de la Médaille d’or du CRSH de 2006 pour les réalisations en recherche, se rappelle très bien le matin de sa première journée d’école. « Mon père m’a prise sur ses genoux et m’a dit : "Ils vont essayer de t’apprendre toutes sortes de choses. Apprends juste ce que tu comprends, ce sera déjà pas mal!" »

Le conseil est devenu son leitmotiv pour la vie. Depuis, Andrée Lajoie interroge le monde. « De façon objective, mais jamais neutre », lance la professeure titulaire en droit de l’Université de Montréal.

Cette quête la pousse d’abord vers le journalisme. L’éditeur d’un journal, ami de son père, lui suggère toutefois le droit plutôt que la littérature comme formation de base. « Sinon, prévient-il, tu seras vite confinée aux pages féminines. » Encore une fois, elle écoute bien le conseil. S’ensuivent une licence en droit de l’Université de Montréal et une maîtrise en science politique de l’Université d’Oxford. Pendant ses études, elle est correspondante à Londres pour la radio de Radio-Canada.

Le destin – et surtout un mari diplomate canadien à l’ONU – change son parcours. En 1962, alors à New York avec son époux, elle abandonne le journalisme pour éviter tout conflit d’intérêts, puis se joint, sur l’invitation d’un de ses anciens professeurs de droit, Jean Beetz, à l’équipe du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal. Elle y est toujours.

Depuis plus de 40 ans, elle se consacre au droit constitutionnel et à la théorie du droit. Avec son insatiable curiosité comme seul guide, Andrée Lajoie a touché à de multiples secteurs du droit, des structures administratives urbaines et régionales aux droits des autochtones et des minorités, en passant par le droit de la santé et de l’éducation.

Ce cheminement, en apparence complexe, suit néanmoins une ligne directrice simple : « Je veux comprendre les facteurs qui orientent la production du droit, explique-t-elle. J’essaie de préciser comment la société, avec ses valeurs dominantes, ses idéologies et ses courants sociaux, influence la conception des lois et leur interprétation par les tribunaux. »

Andrée Lajoie a publié une quinzaine d’ouvrages et d’innombrables articles, et a participé à plusieurs commissions qui ont influencé l’histoire du Québec et du Canada. Chaque fois, c’est en donnant au droit de solides assises théoriques qu’elle a permis au débat d’avancer. Par exemple, ses travaux pour la Commission d’enquête Castonguay-Nepveu (1968-1970) ont servi de base juridique à l’organisation du réseau de la santé au Québec alors que sa réflexion sur le droit de l’enseignement supérieur au Canada a éclairé la Commission d’étude sur le droit et le savoir (1981-1983), dont le Rapport Arthurs, quelque 25 ans plus tard, continue à marquer la formation en droit des étudiants du pays.

Son orientation théorique dans l’analyse du droit se confirme avec son ouvrage Contrats administratifs : jalons pour une théorie, publié en 1984. Au fil de ses recherches subséquentes, elle constate que le droit s’incline toujours devant les valeurs dominantes de la société. « Cependant, nuance-t-elle, certaines valeurs des minorités sont entérinées par le droit, et j’ai voulu savoir à quelles conditions. » Elle s’intéresse alors aux droits des minorités sociales et publie deux ouvrages importants sur le sujet : Jugements de valeurs en 1997 et Quand les minorités font la loi en 2002.

« Les minorités peuvent influencer le droit dans la mesure où leurs revendications coïncident avec les intérêts de la majorité », résume-t-elle avant d’ajouter qu’elle perçoit maintenant une certaine évolution. « En général, les groupes dominants ont tendance à bloquer ce qui va à l’encontre de leurs intérêts financiers et idéologiques. Quand les tribunaux accordent aux gais et lesbiennes le droit au mariage, cela heurte les valeurs de certains groupes, mais pas les intérêts des groupes dominants. Le coût de l’opération n’est donc pas très élevé », convient la chercheure.

Bien qu’elle ait remporté de nombreux prix et acquis une réputation internationale, Andrée Lajoie n’a aucunement l’intention de se reposer sur ses lauriers. Elle entend consacrer la bourse qui accompagne la Médaille d’or à au moins une étude portant sur la façon dont les modes de financement de la recherche influencent son produit. « Je me considère comme chanceuse d’avoir pu profiter d’une grande liberté de recherche », conclut celle qui croit au bien-fondé de la recherche fondamentale non orientée. Cette fois, elle interrogera ceux qui, comme elle, interrogent le monde.